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mais à la condition qu’elle ne gêne point le commerce « par ses injustices, par ses vexations, par les difficultés qu’elle fait naître et les formalités qu’elle exige. Il ne faut point, dit-il très bien, que le marchand perde un temps infini et qu’il ait des commis exprès, nour faire cesser toutes les difficultés des fermiers ou pour s’y soumettre. » (Gh. xm.) Il blâme « les lois qui ordonnent que chacun reste dans sa profession et la fasse passer à ses enfants ». (Gh. ïxii.)

On trouve présentées, de la façon la plus complète, dans le livre XXII, quatre théories principales étroitement rattachées les unes aux autres, la théorie de la monnaie, celle des prix, celle du change, celle du prêt à intérêt 1 . On ne saurait attribuer à Montesquieu l’honneur de les avoir inventées 3 ; mais il a celui de les avoir fixées et de n’avoir guère été dépassé, en ce qui les concerne. Nul, avant lui, ni Law, ni Melon, ne les avait, à beaucoup près, formulées avec autant d’exactitude et de précision.

Nous n’essaierons pas de résumer ce livre XXII. Il faudrait le citer tout entier. Nous nous bornerons à ajouter que Montesquieu y traite incidemment des Dettes publiques. Il combat très judicieusement, chapitre xvn, le sophisme qui consiste à dire qu’un état multiplie les richesses, en augmentant la circulation par ses emprunts. Il indique assez bien, chapitre xvm, les conditions de la conversion des Dettes publiques et il insiste sur la nécessité d’un amortissement annuel 3 .

Livre XXIII. — Des lois dans le rapport qu’elles ont avec le nombre des habitants. Ce livre est le dernier que Montesquieu consacre à l’étude des phénomènes et des problèmes économiques. C’est aussi celui dans lequel on lui a souvent reproché, non sans raison, d’adopter les solutions les plus graves à rencontre des doctrines les mieux fondées des économistes libéraux. Nous lisons, au chapitre xv, un passage qui pourrait avoir inspiré Sismondi : « Les machines dont l’objet est d’abréger l’art, ne sont pas toujours utiles » ; « si les moulins à eau n’étaient pas partout établis, je ne les croirais pas aussi utiles qu’on le dit, parce qu’ils ont fait reposer une infinité de bras... ». Il semble i. Montesquieu revient sur le prêt à intérêt et les usures maritimes dans la Défense de V Esprit des lois, V. lac. cit., p. i 83-1 9/i.

. Nous ne savons si Montesquieu connaissait les obser-Tations du chancelier Gresïiam (V. Monnaie). Mais il a très nettement aperçu et signalé les effets de la loi qui porto son nom. V. ch. xm, in fine.

. 11 existe parmi les manuscrits non publiés de Montesquieu un Mémoire sur les dettes de l’Etat adressé au Régent.

résulter des chapitres xvi, xxvi, xxvn et xxviii que Montesquieu admet, en principe, l’utilité des lois tendant à favoriser la propagation de l’espèce humaine 1 . Enfin, sous le titre inoffensif, Des hôpitaux, le chapitre xxix semble contenir l’affirmation formelle des doctrines socialistes les plus excessives que notre siècle ait vu se produire, touchant le droit à l’assistance. « Quelques aumônes que l’on fait à un homme nu dans les rues, dit-il, ne remplissent point les obligations de l’État, qui doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable, et un genre de vie qui ne soit point contraire à la santé. » Nous serions portés à croire, cependant, que cette formule dépasse sensiblement la pensée de Montesquieu et qu’en la prenant au pied de la lettre, on s’expose à attribuer gratuitement la plus absurde des doctrines à l’un des hommes que son éducation et la nature de son esprit ont le mieux préservé des opinions extrêmes et des systèmes absolus. En réalité, la lecture très attentive du chapitre xxix le démontre, Montesquieu impose à l’État l’obligation, non pas d’entretenir indistinctement tous les citoyens, mais seulement — ce qui est bien différent — ceux qui se trouvent dans l’impossibilité démontrée de subsister par eux mêmes. Il réclame l’intervention de la collectivité en faveur de ceux qui, malgré la richesse générale d’un État, se trouvent, par accident, dans «une nécessité momentanée ». Il ne se contente pas de signaler l’impuissance de l’assistance publique à remédier aune misère générale résultant de la pauvreté delanation ; il approuve les mesures par lesquelles Henri VIII, en Angleterre, détruisit les moines qui entretenaient la paresse des autres, en pratiquant l’hospitalité en faveur d’une infinité de gens oisifs, gentilshommes et bourgeois, et supprima « les hôpitaux où le bas peuple trouvait sa subsistance ». Et il termine le chapitre par la conclusion suivante : « J 5 ai dit que les nations riches avaient besoin d’hôpitaux, parce que la fortune y était sujette à mille accidents ; mais on sent que des secours passagers vaudraient bien mieux que des secours perpétuels. Le mal est momentané : il faut donc des secours de même nature, et qui soient applicables à l’accident particulier, » Voilà, on en convien- [1]

  1. . Montesquieu éuumère dans le ch. i", les diverses causes qui troublent cette propagation. En l’absence de ces causes, quel serait l’accroissement de la population ? Montesquieu s’explique là-dessus dans la Suite de la Défense de l’Esprit des lois, à propos de la discussion des effets du célibat. « Suivant les observations les plus exactes, dit-il, un Etat qui ne souffrirait ni pestes, ni guerres, ni famines, durant soixante années, doublerait, dans cet espace, le nombre de ses citoyen», » Voy, édit, Laboulaye, t. VI, p, 280,