Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/341

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rentes villes de France, mais le Mont-de-piété de Paris fait à lui seul plus d’affaires que tous les autres réunis. Ces institutions sont aujourd’hui en France au nombre d’une quarantaine.

. Caractère économique des monts -de -piété. C’est l’absence de crédit personnel et le défaut de toute autre ressource qui forcent de recourir à l’emprunt sur nantissement ; le prêteur fait alors crédit seulement aux choses, et s’il n’est pas remboursé au terme fixé par le contrat, il poursuit la vente du gage et se paye par ses mains. C’est donc une circonstance fâcheuse que d’être obligé de recourir à un semblable mode d’emprunt, et le mal est plus grand encore si les seules garanties qu’on ait à offrir consistent en objets mobiliers, de l’usage desquels il faut momentanément au moins se priver. Il y a, en effet, entre les conséquences de l’emprunt sur garantie mobilière et de l’emprunt sur garantie immobilière, une différence 1 fondamentale. L’hypothèque, qui est une mainmise sur la valeur vénale de l’immeuble, ne paralyse nullement les services que cet immeuble rend à l’emprunteur, lequel au contraire , en employant utilement sur son héritage les capitaux empruntés, peut lui faire produire davantage et trouver par là une ample compensation de l’intérêt payé au prêteur. Lorsqu’il s’agit au contraire d’un gage mobilier, le prêt n’est garanti que lorsqu’il y a transmission de l’objet, et dès lors l’emprunteur en perd complètement l’usage. Comme, d’un autre côté, l’obligation du prêteur est de conserver intact, en s’abstenant de s’en servir, le meuble engagé, il résulte de cette double nécessité que l’objet ne rend plus aucun service à personne et occasionne au contraire des frais de garde. Or, l’intérêt du capital sous forme mobilière ne pouvant être autre chose que la jouissance que procure l’usage dont il est question, il y a dans ce cas une perte qui ne profite à personne, et le sacrifice fait par les emprunteurs est plus grand encore qu’il ne le paraît. Suit-il de là, cependant, que le prêt sur gages n’ait pas sa raison d’être ? En dépit de son caractère anti-économique, les services que peut en retirer le public sont encore appréciables. Écoutons à ce propos ce que Turgot, huit ans avant l’ouverture du Montde-piété de Paris, disait de la limitation du taux de l’intérêt et du prêt sur gages : « Le nom d’usurier, écrivait-il, ne se donne plus dans la société qu’aux prêteurs à la petite semaine, à cause du taux élevé de l’intérêt qu’ils exigent ; à quelques fripiers qui prêtent sur gages aux petits bourgeois et aux arti-II.

sans dans la détresse ; enfin à ces hommes infâmes qui font métier de fournir, à des intérêts énormes, aux enfants de famille dérangés, de quoi subvenir à leur libertinage et à leurs folles dépenses. Ce n’est plus que sur ces trois espèces d’usuriers que tombe la flétrissure attachée à ce nom, et eux seuls sont encore quelquefois les objets de la sévérité des lois anciennes qui subsistent contre l’usure. De ces trois sortes d’usuriers, il n’y a cependant que les derniers qui fassent dans la société un mal réel. Les prêteurs à la petite semaine fournissent aux agents d’un commerce indispensable les avances dont ceux-ci ne peuvent se passer, et si ce secours est mis à un prix très haut, ce haut prix est la compensation des risques que court le capital par l’insolvabilité fréquente des emprunteurs, et de l’avilissement attaché à cette manière de faire valoir son argent, car cet avilissement écarte nécessairement de ce genre de commerce beaucoup de capitalistes dont la concurrence pourrait seule diminuer le taux de l’intérêt. 11 ne reste que ceux qui se déterminent à passer par-dessus la honte et qui ne s’y déterminent que par l’assurance d’un grand profit. Les petits marchands qui empruntent ainsi à la petite semaine sont bien loin de se plaindre des prêteurs dont ils ont à tout moment besoin et qui, au fond, les mettent en état de gagner leur vie ; aussi la police et le ministère public les laissent-ils fort tranquilles. Les fréteurs sur gages à gros intérêts, les seuls qui prêtent véritablement au pauvre pour ses besoins journaliers et non pour le mettre en état de gagner, ne font point le même mal que ces anciens usuriers qui conduisaient par degrés à la misère et à l’esclavage ces pauvres citoyens auxquels ils avaient procuré des secours funestes ». Après quelques observations sur cette différence radicale des temps modernes avec les temps anciens, que la dette n’entraîne plus pour le pauvre ni la contrainte par corps ni l’esclavage, Turgot termine en ces termes : « La seule sûreté vraiment solide contre l’homme pauvre est le gage t et l’homme pauvre s’estime heureux de trouver un secours pour le moment sans autre danger que de perdre ce gage. Aussi le peuple a-t-il plutôt de la reconnaissance que de la haine pour ces petits usuriers qui le secourent dans son besoin, quoiqu’ils lui vendent assez cher ce secours. Je me souviens d’avoir été, à h> Tournelle, rapporteur d’un procès criminel pour fait d’usure : jamais je n’ai été tant sollicité que je le fus pour le malheureux accusé, et je fus très surpris de voir que ceux qui me sollicitaient avec tant de chaleur étaient ceux-là même qui avaient essuyé les