Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/347

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Bentham, notamment , n’admetpas les idées de droit, de devoir, d’obligation morale, qu’il taxe de mysticisme. Il l’ait du mobile intéressé le principe d’action universel et unique, prétendant y ramener même les sacrifices de la vertu, même l’héroïsme, par une interprétation à notre sens subtile et peu exacte. Mais, en fait, l’idée du bien de l’humanité vers lequel elle dirige l’effort individuel, est le caractère avoué de cette école, quand même elle éprouverait logiquement quelque peine à mettre ce noble but d’accord avec son principe qui est le moi agissant toujours en vue de se satisfaire. De son côté l’école de morale qui a son point de départ dans le devoir, dans l’idée du sacrifice, n’a jamais nié par ses organes les plus sensés la légitimité et la fécondité de l’intérêt dans la sphère très étendue qui lui appartient, c’est-à-dire dans la sphère des faits économiques. En travaillant pour soi, on fait une chose d’autant plus licite qu’on travaille aussi pour les autres. On faisait observer à Louis Blanc, qui prétendait organiser la société exclusivement sur la base de la fraternité, et assurer les travaux nécessaires parle seul point d’honneur, figuré dans les ateliers par un poteau portant cette inscription : Quiconque ne travailla pas est un voleur ; on lui faisait observer que si l’on met le dévouement dans certains actes, on ne fabrique pas des vêtements et des chaussures ; par fraternité, que l’idée du profit et du salaire est inséparable des efforts humains, que les trois quarts des choses manqueraient, que le mouvement social enfin s’arrêterait s’il n’avait que le dévouement pour unique moteur, et si l’intérêt de chacun n’était pas là pour susciter l’énergie et l’activité, et pourvoir par ses efforts aux nécessités communes.

Ainsi, c’est à tort qu’on a entendu faire peser une accusation capitale contre la recherche de la richesse et contre le grand mobile de l’intérêt personnel, qui peut être éclairé et contenu par la raison, limité par l’intérêt d’autrui, mais non supprimé ou énervé au point de rendre l’homme paresseux et indolent.

Établissons maintenant la conformité des faits et des lois économiques avec la morale en ce qui touche les grandes divisions de l’économiepolitique production, circulation, répartition, consommation des biens, en faisant justice des accusations contraires, quand nous les rencontrerons. C’est le meilleur moyen sans doute de mettre quelque méthode dans cette étude 1 ,

. Cette démonstration, nous l’avons faite dans notre ouvrage traitant des Rapports de l’économie politique et de la morale, avec tous les développements que le sujet comportç MORALE

I. — Voyons d’abord pour la production.’ L’homme en est le principal agent. Sans doute la nature y a sa part. Mais cette part serait bien réduite, si la nature elle-même n’avait été modifiée,transforméeparl’homme, mise à son service, pliée à ses usages. L’intelligence a opéré ces merveilles. Mais l’intelligence resterait inerte si elle n’était mise en mouvement par des impulsions qui portent l’homme à s’approprier les choses et à se les assimiler. Ce sont nos instincts et nos. besoins qui jouent ce rôle nécessaire. Ils sont à notre nature ce qu’est le vent à la voile, ce qu’est la force de la vapeur à la machine qu’elle sert à mouvoir. Les instincts et les besoins ne suffisent pas eux-mêmes. Il y a en nous une force plus personnelle, ou, pour mieux dire, qui semble constituer notre personnalité même, c’est la volonté, que nous estimons K6re, et que nous croyons au même titre responsable. La première application de notre liberté, c’est le travail : matériel, quand notre volonté y dirige nos bras ; intellectuel, quand elle y applique notre esprit. Or, le travail est un fait moral. Il suppose un effort, et à cet effort nous appliquons une certaine idée de mérite. Nous trouvons juste que ce travail nous profite ; nous jugeons immoral l’acte brutal qui viendrait nous en arracher le fruit. Sans doute la propriété individuelle ne s’applique primitivement pas à toutes les choses, mais quelques-unes de ses formes se manifestent d’abord, et ce que les juriconsultes ont appelé la possession s’applique ■ très vite aux objets mobiliers. Cette prise de possession d’un objet, et plus /tard d’un sol non approprié antérieurement, qu’elle ait lieu d’ailleurs du fait de l’individu ou d’une communauté restreinte comme la tribu, loin de choquer l’idée du droit, est sanctionnée par la justice. Il n’y a pas là une acquisition à titre gratuit, mais à titre onéreux. Dira-t-on que la propriété du sol devienne injuste en ce sens qu’ayant coûté des efforts et des avances au début elle cesserait d’en requérir ? Loin de là, la terre ne cesse de réclamer de nouvelles avances, de nouvelles façons. C’est coûteusement qu’il faut lutter contre les intempéries, refaire le sol par des amendements et des engrais, lui arracher chaque année de douteuses récoltes, faire en sorte ■ qu’il ne retourne pas à l’état sauvage. L’appropriation de la terre est-elle donc nuisible à la masse humaine ? Non, puisqu’elle assainit le sol et le rend fécond pour tous ceux qui, directement ou par l’échange, en recueilleront les fruits, d’ailleurs bien moins considérables dans le régime de la communauté. Ajoutons que le travail et’ la propriété ont une