Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/351

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ciétés où la conquête brutale a partagé la nation en vainqueurs et en vaincus et, accordant tout aux uns, a fait de la servitude le lot éternel des autres. Il n’y a pas de vices qui n’aient déshonoré ces sociétés de tyrans et d’esclaves, par cette raison que le pouvoir de tout faire mène ceux qui l’exercent à tous les abus et ceux qui le subissent à la dégradation et à l’anéantissement moral. A un degré moins bas se placent ces sociétés telles que notre ancien régime, dans lesquelles les monopoles et les privilèges créaient des situations dont l’iniquité devait frapper les esprits indépendants et les âmes généreuses. La distribution par la liberté ne présente pas les mêmes infériorités morales et économiques. D’une manière générale, elle repose sur le libre débat qui s’établit entre les parties contractantes, et comment croire que chacun ne défende pas ce qu’il juge son intérêt et son droit ? Comment croire que, dans ces milliers de transactions où des milliers de créatures humaines sont en présence, la raison n’ait aucune part et que tout soit abandonné au hasard et à l’arbitraire ? Toutes les situations, objecte-t-on,ne sont pas égales devant la loi de l’offre et de la demande. Mais pourraient-elles l’être sans que de justes supériorités acquises par des efforts et des économies antérieurs fussent indûment sacrifiées ? Il suffit de rappeler comment les choses se passent. La richesse se distribue sous forme de salaires, de profits, d’intérêt et de rente, et il n’est pas un de ces modes qui, à part les exceptions, mérite les reproches d’injustice et d’immoralité dont il est l’objet de la part de ceux qui déclarent la société mal faite, et l’économie politique une fausse science. Le salariat est présenté comme une injustice, une oppression. On allègue l’infériorité du salarié au capitaliste. Nous remarquerons qu’il s’établit du consentement des deux parties et à leur avantage réciproque. Sans doute, la situation de celui qui possède est supérieure à celle de l’homme qui ne possède pas. Mais quoi de plus injuste que d’ôter à celui-ci le bénéfice d’une supériorité légitimement acquise, le mérite de ses efforts et de ses épargnes antérieures, ou, s’il a reçu son bien par héritage, l’avantage qui résulte pour lui d’un acte libre ou d’arrangements légaux établis au profit de la famille et de la société ? Comment taxer d’injustice un contrat qui, dans une entreprise, tandis que le capitaliste court des risques, met l’ouvrier en dehors des chances de perte, et lui garantit une sorte de prime d’assurances qui lui permet de vivre et, en bon nombre de cas, d’épargner et de devenir capitaliste à son tour ? On se retourne alors contre l’inégalité des

— MORALE 

salaires. On les voudrait égaux, égalité signifiant justice dans certaines théories. C’est ainsi que l’ont entendu de nos jours Louis Blanc et Proudhon. Mais qu’y aurait-il de plus inique, et on doit ajouter de plus démoralisateur, que de payer également l’ouvrier laborieux et le paresseux ? — - Les salaires sont inégaux aussi dans les différentes professions ! — Eh ! sans doute, et rien n’est plus conforme à la justice. Adam Smith a montré que ces variations dépendent du plus ou moins de frais d’apprentissage, d’agrément ou de désagrément de la profession, du plus ou moins de sécurité ou de danger, de certitude ou d’incertitude, etc. Tout cela, c’est la justice même, qui ne consiste pas dans le nivellement et qui tient compte des circonstances dans la diversité des rémunérations. Et ne s’avise-t-on pas aussi de décrier le travail à la tâche, comme si ce genre de rétribution n’était pas le plus proportionnel au mérite de l’ouvrier ! On peut s’assurer que les profits du capital qu’on appelle dans un langage trop usité par certaines écoles Yinfâme capital, ne sont pas moins légitimes lorsqu’on se reporte à leur source. Par exemple, si le capitaliste dirige lui-même une entreprise, son travail n’est ni le moins pénible ni le moins méritoire, puisqu’il suppose des qualités spéciales et qu’il implique le souci de grands risques et de lourdes responsabilités. S’il se borne à faire valoir son capital, il reste encore qu’il s’en prive, qu’il renonce aux satisfactions immédiates qu’il aurait pu se procurer, qu’il n’est pas sûr de le recouvrer, et enfin que, l’entreprise se faisant avec ses avances, il est parfaitement juste qu’il participe à ses bénéfices. Si enfin tout simplement il le prête à un autre, oh ! c’est alors que des réclamations s’élèvent plus que jamais avec véhémence. Iniquité ! Tyrannie ! Spoliation ! C’est le prêt à intérêt ! Et l’économie politique, s’écrie-t-on, le justifie ! Et elle va même jusqu’à condamner les réglementations légales qui en limitent le taux !

Que de volumes ont été écrits contre l’immoralité de l’intérêt ! Que de sophismes dirigés par des théologiens, des jurisconsultes, et bien entendu par les socialistes, contre la prétendue stérilité de l’argent ! Comme si cet argent n’était pas un instrument fécond entre les mains de l’entreprise, comme si celui qui s’en dessaisit était obligé de le faire, comme s’il ne se privait pas pour lui de jouissances ou de bénéfices qu’il aurait pu en retirer, comme s’il ne courait pas de risques, tantôt moindres, tantôt plus grands, selon les cas, de perdre ce fonds même qu’il confie à d’autres mains. Et nous n’invoquons