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ses travaux et ses relations d’amitié avec les lettrés les plus célèbres de l’Europe, Érasme, Budé, Vives, Buslayden, ^Egidius, etc. Il publia ainsi de nombreux ouvrages en anglais et en latin. Les premiers, qui traitent par ticulièrement de controverse religieuse, ont été réunis en un volume in-folio à Londres en 1557. Les autres, également recueillis en un volume in-folio à Baie en 1563, à Louvain en 1 566, et à Francfort en 1569, comprennent ses œuvres les plus connues : sa réfutation de la doctrine de Luther, les Sacrements, et enfin son Utopie. Thomas Morus, élevé à la dignité de chancelier en 1529, se démit ces hautes fonctions en 1532. Il avait refusé de se prononcer sur la légalité du divorce de Henri YIII et de Catherine d’Aragon, comme il refusa plus tard de se prononcer en faveur du schisme royal qui fut la cause de son procès et de sa mort. Morus périt ainsi victime de son indépendance de caractère.

C’était un philosophe réformateur et humanitaire. Bans son ouvrage le plus connu, VTJtopie ou Du meilleur gouvernement possible, modèle qui s’est imposé plus tard à tous les réformateurs, qui a été traduit dans presque toutes les langues et que nous analysons ici, il essaye de former un nouveau code du genre humain, un nouvel évangile politique, un programme de foi universelle. Tout dans cet œuvre est nouveau : le titre même : Utopia (de où, non, et tottôç, lieu) est un mot nouveau, créé par Morus et qui, grâce à lui et plus tard à Rabelais, est devenu, dans toutes les langues, synonyme de rêverie, de chimère. L’Angleterre était alors remplie des récits merveilleux de la découverte de l’Amérique, quand Morus s’annonça (1518) comme le Christophe Colomb d’un monde aussi fabuleux que celui que Platon avait rêvé. UUtopie forme deux livres ou plutôt un livre et un chant : le livre où l’historien trace le tableau critique de la forme sociale anglaise ; le chant où le poète construit le plan d’une organisation de gouvernement toute nouvelle.

Le premier fragment de V Utopie est en forme de dialogue à plusieurs personnages. La conversation roule sur divers point de philosophie, sur les malheurs qui affligent l’humanité, sur les moyens de rendre les hommes meilleurs, les gouvernements plus équitables, les vols moins communs. La conclusion de cette première partie de l’œuvre est que« la société ne sera jamais bien gouvernée tant que le droit de propriété subsistera ». Sur cette conclusion l’assemblée se récrie ; mais l’un des interlocuteurs répond qu’il a vu une application de la communauté des biens qui a parfaitement réussi, dans un pays qu’on appelle « Utopie ». C’est ainsi que Morus amène l’exposé de sa théorie gouvernementale, qui prend place dans la seconde partie de son ouvrage.

L’île d’Utopie est située au delà de l’océan Atlantique. La forme du gouvernement est républicaine ; tout s’y fait par l’élection. 1 L’organisation civile est fondée sur le modèle de la famille. Chaque famille se compose de quarante personnes, plus deux esclaves. Pour trente familles, ilyaun magistrat appelé phir larque, pour dix philarque s, il y a un magistrat supérieur nommé protopkilarque. Les protophilarques sont au nombre de deux cents, élus pour un an ; en cas de vacance du pouvoir suprême, ils choisissent le chef de l’État entre deux candidats présentés par le peuple, et forment son grand conseil. En cas d’affaires importantes, on consulte la nation. Chaque philarque recueille les avis de ses trente familles et les porte ensuite au Sénat, formé de trois citoyens par ville et choisis parmi les vieillards. Voilà pour l’organisation politique ; voici maintenant pour l’organisation sociale.

Tout appartient à tous, excepté lesfemmes. L’agriculture donne lieu à une conscription àlaquelle personne n’échappe. Outre l’agriculture, tous les citoyens sont tenus d’avoir un métier. Ceux qui montrent des dispositions particulières pour les sciences’sont dispensés des travaux manuels. Le travail est modéré ; il ne dépasse pas six heures ; des cours publics sont ouverts aux autres heures ; huit heures toutefois sont consacrées au repos, pour ceux qui veulent s’instruire dans les arts, les lettres et les sciences. Il y a donc dans ce pays une vie de travail sans fatigue, de liberté sans paresse, debien-être sans luxe et de plaisir sans abus. Le mariage entre fiancés n’a lieu qu’après un examen mutuel de leur état physique. Le divorce est permis, aussibien par consente ment mutuel que pour incompatibilité d’humeur. L’adultère est puni d’esclavage pour la première fois, et de mort pour la récidive. C’est le seul crime qui entraîne la privation de la vie. Toutes les religions sont tolérées ; on ne doit imposer aucune croyance par force.

Telles sont les idées principales exposées dans l’Utopie de Morus. C’est l’idéal du bien absolu que rêvent à toutes les époques certains esprits honnêtes ou impatients qui ne savent pas goûter le bien relatif dans le milieu où ils vivent. Notons en terminant que Morus s’est contredit en conservant l’esclavage dans la même société où il abolit la propriété.

Joseph Lacroix.