Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

point de vue des principes supérieurs de justice et de proportionnalité, aucune limite précise et judicieuse n’est plus tracée entre eux. Aussi M. Gladstone, dans un discours célèbre, déclare-t-il qu’il ne veut pas faire de choix entre eux, qu’il s’abstient absolument d’accorder ses préférences aux uns ou aux autres. Il se borne à les considérer « comme deux sœurs également pleines d’attraits, ayant pour père et pour mère le besoin et l’invention, introduites dans la société de Londres, chacune avec une riche dot, susceptibles d’avoir, toutes deux, leurs admirateurs particuliers... mais auxquelles le chancelier de l’Échiquier doit rendre des hommages absolument semblables, sans aucune préférence pour l’une ou pour l’autre. » (Discours du 15 avril 1861.)

Léon Faucher avait dit également : « Aquoi bon débattre, comme en champ clos, les mérites respectifs de l’impôt direct et indirect, puisque nous avons besoin de l’un et de l’autre ? Tout au plus pourrait-on invoquer la convenance de développer en temps de paix les taxes indirectes et de réserver pour les cas de guerre la pesée à faire porter sur les taxes directes ou foncières auxquelles la fortune acquise ne peut pas se dérober ». [Mélanges d’économie politique et de finances.) Ce scepticisme n’est plus de mise à l’égard de la nouvelle classification que nous abordons. Les impôts sur les consommations, d’une part, et sur la propriété, d’autre part, fournissent, au contraire, dans Tordre d’idées supérieures qui nous préoccupent, des caractères parfaitement déterminés et d’une importance capitale.

Commençons par bien spécifier les éléments qui entrent dans la composition de chacune des deux catégories sus-indiquées, en les extrayant nominativement de la liste générale des recettes budgétaires. En premier lieu, tous les impôts directs appartiennent à la catégorie des taxes sur la fortune assise. La contribution foncière, en effet, la contribution des portes et fenêtres, la contribution mobilière, celle des patentes, les taxes assimilées, s’adressent à des richesses certaines, à des biens au soleil consolidés entre les mains de leurs détenteurs, tels que champs, bois, prés, maisons, usines, établissements commerciaux, logements, meubles, chevaux, voitures, mines, billards, etc. Ces différents objets représentent une valeur effective, dont l’impôt connaît et frappe les détenteurs. Parmi les impôts indirects, figurent ensuite dans la même catégorie les taxes sur les successions, qui prélèvent leur part sur la fortune même que l’héritier s’apprête q, recueillir ; les taxes sur les donations entre vifs, qui atteignent également la richesse au moment où celle-ci change de mains ; les droits sur les ventes mobilières et immobilières qui frappent l’objet vendu lorsque l’acquéreur en devient propriétaire ; les droits de timbre et de transmission sur les actions et obligations des compagnies, sociétés et entreprises diverses, acquittées par les possesseurs de ces capitaux mobiliers ; les droits sur les coupons touchés par les porteurs desdites valeurs ; les droits sur les contrats de mariage, marchés, adjudications, formations de société, liquidations, partages, constitutions d’hypothèques, ouvertures de crédit, procès, jugements et autres actes spécifiant la possession ou la mutation de valeurs déterminées. On peut encore ajouter à cette nomenclature les licences exigées des divers assujettis de la régie, en raison de leur établissement industriel.

En résumé, les impôts sur la fortune assise comprennent toutes les contributions directes et une notable partie des droits indirects, spécialement ceux d’enregistrement et de timbre. On peut les définir « ceux qui frappent certaines richesses dans les mains de leurs détenteurs ».

Quant aux taxes sur les consommations, leur liste se compose des nombreux droits établis sur les vins, cidres, bières et alcools, sel, sucre, café, thé, céréales, bestiaux, viande, fer, tissus, bougies, tabacs, poudres à feu, allumettes, transports, théâtres, etc., de tous les impôts indirects, en un mot, autres que ceux de la liste précédente. Ici, le fisc ne se trouve plus en face d’un contribuable détenant une richesse déterminée, mais en présence d’une marchandise dont le véritable destinataire est inconnu. Il effectue son prélèvement sans savoir quelle personne en supportera définitivement le poids, sans même s’en inquiéter. Une fois l’objet taxé dans les mains du producteur ou des intermédiaires, il laisse le consommateur, quel qu’il soit, riche ou pauvre, acquitter ultérieurement le surcroît de prix résultant de la taxation . En conséquence, on peut dire que « les impôts sur les consommations frappent certains objets de consommation, indépendamment de la personne du, consommateur » *.

. Impôts réels et personnels. — On induirait à tort du texte des définitions précédentes qu’il s’agit, dans le premier cas, d’impôts personnels et, dans le second cas, d’impôts réels. Sans doute, les contributions foncière, des portes et fenêtres, les patentes, les droits sur les successions, sur les donations, mutations, titres et actes divers, qui composent les impôts sur la fortune assise, s’adressent à des personnes déterminées. Mais ces personnes ne sont ainsi cotisées individuellement qu’en raison des richesses ou valeurs