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NECKÉË

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NECKER

pîit une marche triomphale depuis Bâle jusqu’à Paris ; dans chaque ville, on dételait ses chevaux, on traînait sa voiture ; les fanfares retentissaient. Cette faveur populaire lui fit ensuite brusquement défaut. Moins d’un an après son retour, il quitta la France pour n’y plus revenir et sur cette même route de Bâle à Paris qu’il parcourut alors en sens inverse, il fut arrêté avec violence ; sa vie fut menacée. Necker avait, jusque-là, mis toute sa confiance dans l’opinion publique dont il avait voulu faire la régulatrice du gouvernement et dont il s’était servi comme d’un point d’appui pour vaincre l’opposition de la cour et la faiblesse du roi. La disgrâce changea ses sentiments, « Je ne sais trop pourquoi », a-t-il dit, « l’opinion publique n’est plus à mes yeux ce qu’elle était ». En réalité, il n’avait guère vu dans l’opinion qu’un moyen d’obtenir « la considération, les égards, l’estime, la renommée », sans bien mesurer la distance qui sépare le démagogue de l’homme d’État. Ses actes et ses écrits économiques se ressentent de ses illusions à ce sujet.

Issu d’une famille irlandaise établie à Genève, au commencement du xvm e siècle, fils d’un régent de collège qui fut professeur de droit public, Necker avait été mis dans le commerce à l’âge de quinze ans. Il avait, dit-on, peu de goût pour ce genre d’occupations et s’en détourna quelquefois pour faire de la littérature ; il y réussit, néanmoins, d’une manière exceptionnelle : le banquier, chez lequel il était entré en qualité de simple commis, le plaça très jeune à la tête de ses bureaux, le prit ensuite comme associé et lui donna, en se retirant, des fonds à l’aide desquels fut créée en 1762, sous la raison Thelusson, Necker et C ie ,une nouvelle maison de banque qui prit rapidement le premier rang.

Les ennemis de Necker ont attaqué la moralité des vastes spéculations de cette maison ; leurs accusât iou s sont d’autant plus difficiles à admettre qu’elles sont en opposition avec la probité et le désintéressement dont ce ministre a fait preuve quand il fut au pouvoir. Un seul fait paraît d’ailleurs certain ; c’est quela banque Thelusson j oua à la hausse sur les fonds publics en 1763, lors de la conclusion de la paix avec l’Angleterre, et qu’un commis des affaires étrangères du nom de Favier qui, par son emploi, pouvait être renseigné sur les clauses du traité en préparation, se plaignit presque publiquement de n’avoir pas reçu le prix de ses indiscrétions. Lorsque fut promulgué l’édit de 1764 sur la liberté d’exportation des grains, la maison Thelusson spécula sur les céréales, comme elle l’avait fait sur les fonds publics, et gagna des sommes importantes en profitant du mouvement de hausse qui suivit l’application de l’édit. Elle paraît également avoir réalisé des bénéfices en avançant de l’argent àTÉtat, sous le ministère de l’abbé Terray ; le Trésor était alors aux abois, les revenus dévorés à l’avance, le contrôleur général à la merci des banquiers. « Nous vous supplions de nous secourir dans lajournée ; daignez venir à notre aide ; nous avons recours à votre amour pour la réputation du trésor royal. » Tel était le ton des lettres que les agents du ministère adressaient à Necker ; il permet de juger de la situation favorable que celui-ci occupait pour traiter d’emprunts avec les représentants de l’État.

La Compagnie des Indes compte aussi parmi les sources de la fortune de Necker ; il était le banquier et l’un des directeurs de cette compagnie ; lorsque Maynon d’invau entreprit de la supprimer pour donner quelque liberté au commerce de l’Orient (V. Privilégiées [Compagnies]), il s’opposa habilement aux vues du contrôleur général et assura ensuite la liquidation de la compagnie dans des conditions avantageuses sous le ministère de l’abbé Terray.

C’est ainsi que Necker se prépara au maniement des affaires publiques, tout en menant ses affaires personnelles. En 1772, ayant quarante ans à peine, car il était né à Genève le 30 septembre 1732, il jugea sa fortune suffisante — elle était considérable — et céda ses affaires à son frère. À ce moment, les discussions sur la question des grains avaient repris une grande vivacité en raison de la publication du livre de Galiani et en raison surtout des disettes de 1770 et de 1771. Le public, jadis favorable aux économistes, s’éloignait d’eux et l’Académie française, qui avait précédemment couronné Y Éloge de Sully, mettait maintenant au concours V Éloge de Colbert, Pour un homme désireux de renommée, ce concours offrait une occasion excellente de se faire connaître. Necker ne la laissa pas échapper ; il écrivit l’éloge, y mêla quelques critiques indirectes à l’adresse de l’abbé Terray, loua Colbert d’avoir apporté des entraves au commerce des céréales et obtint le prix. Déjà, en 1769, lors des querelles relatives à la Compagnie des Indes, un discours qu’il avait prononcé pour répondre aux attaques de l’abbé Morellet (voy. ce nom) avait provoqué l’enthou siasme des actionnaires et 1 approbation des gens de lettres qui fréquentaient le salon deM me Necker. Après YÊloge de Colbert (1 773) et quoique Voltaire eût dit de ce travail : « Il y a autant de mauvais que de bon », l’opu-