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NEGKER

on n’a presque jamais rien fait encore pour la classe la plus nombreuse des citoyens. Que nous importent vos lois de propriété, pourraient-ils dire ? Nous ne possédons rien. Vos lois de justice, nous n’avons rien à défendre. Vos lois de liberté, si nous ne travaillons pas demain, nous mourrons. vous qui gouvernez, n’oubliez jamais que la plus nombreuse partie des hommes ne fut point appelée à la composition des lois. » Le succès de la Législation et du commerce des grains contribua à la chute de Turgot et autorisa ensuite Necker à aspirer à une position dans l’État ; sa double qualité d’étranger et de protestant ne lui permettait pas de songer à devenir ministre, mais il pouvait ambitionner une place moins en vue. Le marquis de Pezay, intrigant vénal qui, sans occuper aucune fonction, avait de l’influence àla cour, se chargea de faire passer à Maurepas des mémoires sur la situation du Trésor. Le premier ministre accueillit ces mémoires favorablement et trouva intéressant, peut-être même plaisant, d’essayer d’un banquier pour diriger les finances. A la mort de Clugny, successeur de Turgot, il fit nommer Necker, directeur du Trésor, avec Taboureau des Réaux comme contrôleur général (22 octobre 1776). La situation de Taboureau fut mal définie ; des difficultés s’élevèrent entre le ministre et son subordonné ; Taboureau se retira et Necker devint directeur général, sous les ordres directs de Maurepas (29 juin 1777). L’administration de Necker, à laquelle il ne manqua, pour être un véritable ministère, que le titre et l’entrée au conseil, dura près de cinq ans. Selon le point de vue auquel on se place, les jugements qu’on porte sur elle sont très dilïérents. Sous le rapport financier, on lui donne généralement et avec raison beaucoup d’éloges. Necker a apporté dans les finances publiques les habitudes d’ordre et de méthode qu’il avait puisées dans les affaires commerciales. Il rectifia la comptabilité, simplifia les rouages, empêcha la stagnation des fonds dans les mains des receveurs et trouva à un taux raisonnable des ressources pour alimenter la coûteuse guerre de l’Indépendance. Sans doute, ainsi que l’a signalé M. Stourm dans les Finances de V ancien régime et de la Révolution, ses procédés de trésorerie n’étaient pas nouveaux, mais il se procura plus d’un demi-milliard, sans que le cours des fonds publics ait beaucoup fléchi et sans que les impôts aient été sensiblement augmentés,

Presque au début de son avènement aux affaires, il avait supprimé les cinq intendants des finances, parmi lesquels se trouvaient des collaborateurs intimes de Turgot. _ 388 — NECKER

Cette mesure avait fait grand bruit et avait été le prétexte de la retraite de Taboureau ; mais elle était bonne en soi parce qu’elle faisait disparaître des fonctions inutiles. La suppression des trésoriers des différents ministères, à laquelle Turgot avait déjà songé, celle des trésoriers généraux, la vérification des brevets de pensions, la suppression, dans la maison du roi, d’un grand nombre de places ridicules par leur titre et par leur objet, sont aussi généralement approuvées ; il en est de même de la substitution à la ferme générale (V. Finances de l’Ancien Régime) d’une régie intéressée pour la perception des droits d’aides et de contrôle. Cette mesure, rendue possible en 1780 par l’expiration du bail des fermes, procura au Trésor un bénéfice annuel de 14 millions. Les douanes intérieures et extérieures furent désormais les seuls impôts qui restèrent dans les mains de la ferme ; les domaines et droits domaniaux formèrent avec les droits de greffe et d’hypothèque une administration directement gérée par les agents de l’État.

A la même époque, le contingent de la taille soumis jusqu’alors à des variations fréquentes et arbitraires fut rendu fixe ; les cotes des vingtièmes furent établies pour vingt ans et la partie de cet impôt désignée sous le nom de vingtièmes d’industrie fut supprimée pour les bourgs et les campagnes. Enfin, la mainmorte (voy* ce mot) fut abolie dans le domaine du roi. C’étaient là des réformes louables qui exigeaient de la part du ministre de la persévérance et quelquefois aussi du courage.

Necker fut moins heureux dans les questions économiques que dans les questions purement financières ; s’il n’accentua pas le mouvement de réaction qui avait suivi la chute de Turgot, il ne fit rien pour l’arrêter ; il laissa la corvée rétablie et la liberté du travail détruite ; il n’osa, quand il s’occupa des manufactures d’étoffes, toucher aux anciens règlements et ne donna de liberté qu’aux étoffes non encore réglementées (1779). Enfin, il interdit l’exportation des métiers, outils et instruments de fabrication et renouvela les défenses d’exporter les grains dans la Guyenne, le Roussillon et le Languedoc (1777).

La création des assemblées provinciales que l’on a représentée comme l’une des mesures les plus importantes de son ministère, eut lieu dans des conditions tellement restreintes qu’elle ne pouvait avoir une réelle portée. Turgot avait voulu donner à la France une constitution qui eût entraîné la suppression des ordres privilégiés et remis le pouvoir politique aux propriétaires du sol dans