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ter PHYSIOCRATES

PHYSIOCRATES

ter que la doctrine de l’impôt direct et unique était en opposition avec leurs propres théories sur la propriété foncière et qu’elle aboutissait à la mainmise de l’État sur le sol entier de la nation ; ils s’imaginaient qu’en faisant varier l’impôt, avec le produit net, on remédierait à tout inconvénient, parce qu’on intéresserait le gouvernement au développement de l’agriculture. C’était là une double erreur. L’effet réellement utile de la théorie de l’impôt direct et unique a été de soulever des discussions sur l’assiette de l’impôt et de mettre en relief les abus existants. Les impôts assis sur le produit brut, sans tenir compte des frais de production, comme les vingtièmes et la dîme, furent condamnés. En outre, on reconnut qu’il n’était pas nécessaire de faire passer la perception par la main des traitants. Toutes les tentatives de réformation de l’impôt pendant les dernières années du règne de Louis XVI et toutes les transformations opérées parla Constituante furent inspirées par les considérations développées par les physiocrates.

L’établissement d’un impôt purement réel, devait entraîner, d’aiJ leurs, une réforme politique fondamentale : la suppression des privilèges personnels. Les physiocrates voyaient clairement cet important et heureux résultat.

Une autre conséquence de la théorie du produit net fut la réfutation du système de la balance du commerce (V, ce mot). Quesnay a prouvé que l’argent n’est pas la richesse, en montrant l’Espagne épuisée, bien qu’elle eût encaissé les trésors du Pérou, et l’Angleterre soutenant son opulence avec les seuls produits de son travail. On ne peut, disaient avec lui ses disciples, créer quelque chose avec rien ; dans un simple échange il n’y a pas création de richesses ; chacune des parties contractantes profite du contrat, sans quoi elle ne l’aurait pas fait ; l’acheteur a des produits au lieu d’avoir de l’argent ; le vendeur a de l’argent au lieu de produits ; mais l’un et l’autre ont à peu près la même puissance d’achat qu’avant l’opération. Supposer que la balance du commerce soit la mesure de la richesse d’un pays est une absurdité d’autant plus grande que cette balance se résout le plus souvent en marchandises et non en argent et qu’une nation qui aurait acheté plus de métaux précieux qu’elle n’en a besoin serait obligée de les revendre à perte pour acheter des objets plus utiles. Enfin la théorie du produit net eut une conséquence toute pratique en attirant vers l’agriculture les intelligences et les capitaux que le colbertisme avait dirigés vers la fabrication des objets d’exportation et principalement des objets de luxe. A force de répéter que l’agriculture est l’industrie la plus utile, les physiocrates ramenèrent les riches dans leurs terres et provoquèrent indirectement de fécondes améliorations.

Quesnay, né dans une ferme, avait une véritable passion pour l’agriculture et ramenait tout à elle. Il voulait que le cultivateur fût riche pour que son aisance déterminât, avec un accroissement de production des céréales, la suppression des disettes* A ce point de vue, il ne craignait même pas un renchérissement passager du prix du pain s’il devait amener l’aisance du cultivateur. C’est ce qu’il avait dit en réclamant la liberté de l’exportation des céréales qui, en permettant aux producteurs de blé de vendre leurs excédents, devait produire une élévation du prix de vente dans les années d’abondance. ïl importait peu à Quesnay que les ouvriers payassent momentanément le pain un peu plus cher, si la production agricole devait ensuite s’accroître. On voit quel parti les adversaires de la liberté purent tirer de ces arguments . Les économistes , représentés comme recherchant et désirant la cherté, ne s’aperçurent que tardivement de leur imprudence.

. Vue» politiques des physiocrates. Services qu’ils ont rendus.

Les vues politiques des physiocrates, quoique très contestées et très contestables dans certaines parties, doivent être rappelées ici non seulement parce qu’elles ont eu une action très réelle sur les esprits au xvin e siècle, mais parce qu’elles ont été souvent dénaturées.

Le respect de l’individu en est la base ; les économistes voulaient que la liberté personnelle de chacun fût regardée comme sacrée ; ils n’admettaient d’autres distinctions de classe que celles qui résultaient de leur théorie sur la distribution des richesses ; loin de rêver une égalité chimérique, ils savaient que l’égalité n’existe nulle part dans la nature ; mais ils voulaient que chacun fût protégé également, c’est-à-dire qu’il pût penser, agir, travailler à son gré, sous la seule condition de ne pas nuire aux autres. Toutes les usurpations sur la propriété et sur la liberté individuelles devaient, d’après eux, être rigoureusement réprimées par l’autorité publique, dont la mission devait se borner au maintien de la sécurité des personnes et à la répression des violences privées. L’autorité ne doit pas être instituée pour faire des lois, disaient-ils ; « car les lois sont toutes faites par la main de Celui qui créa les droits et les devoirs ; les lois positives ne