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une grande influence, parce qu’elle elle est concomitante avec le fait général de la hausse des salaires à laquelle les taxes douanières sont étrangères. Elle indique du moins combien est importante la situation actuelle des travailleurs dans l’économie sociale. La seconde est celle des partisans de la liberté des échanges qui, en principe, admettent que les travailleurs devant concourir, dans une certaine mesure, aux charges sociales, ne peuvent le faire que par des taxes de consommation et que ces taxes doivent être très modérées, parce que les travailleurs ne s’en récupèrent plus.

Les libres échangistes tiennent compte de l’émancipation sociale et économique des travailleurs, de leur liberté, de leur responsabilité ; les protectionnistes les réduisent encore à la condition inférieure de personnes qui réfléchissent l’impôt ou qui s’en récupèrent.

Ceux-là, en matière d’incidence d’impôt, posent l’absorption par le contribuable comme la règle ; ils préfèrent les impôts directs, dont on peut se rendre compte ; ceuxci, prenant la récupération pour base, préfèrent les taxes de consommation qui sont censées, de répercussion en répercussion, se répartir sur tous ou s’évanouir. Ces deux doctrines partagent encore les esprits. Il y a une certaine fascination dans l’idée de la répercussion ou de la récupération. Beaucoup de ces travailleurs, même dans les classes moyennes, se laissent séduire par l’espérance de ne pas, en définitive, payer d’impôt en s’en débarrassant sur le voisin. D’autres trouvent tout naturel que la répercussion se fasse, comme le pensait Ricardo, sans intervalle.

Ces théories ne pouvaient suffire au mouvement des esprits. De là la doctrine de l’égalité du sacrifice et celle de l’inégalité de la répartition de la production. La première est une doctrine entièrement fiscale ; il n’en est pas de même de la seconde, qui est une doctrine sociale. Elle ne prend un caractère fiscal que par ses procédés d’application. Stuart Mil ! et Karl Marx ont remplacé Quesnay et Ricardo. Les éléments sociaux ont été renouvelés, les théories ont marché avec les faits. Stuart Mill a développé la première, Karl Marx la seconde. En principe, la théorie de l’égalité du sacrifice se trouve dans les déclarations générales de l’Assemblée constituante : « Tout citoyen doit concourir aux dépenses publiques en proportion de ses facultés. » Le sacrifice doit être également proportionnel ; jusqu’à un certain degré, il peut même être progressif, tant est grande et irrécusable l’inégalité des conditions. Mais du principe à l’application, il y a d’interminables difficultés provenant des influences nombreuses ; climat, race, religion, évolution historique {cette dernière demeurant la plus importante), qui font obstacle au principe et permettent de mettre en doute la théorie. Karl Marx s’est dégagé de ces diverses influences ; c’est l’un des côtés les plus remarquables de son œuvre, si remarquable au surplus. Il est chimérique de séparer l’humanité de sa douloureuse, mais glorieuse émancipation ; elle est le produit des siècles, , de sa propre évolution. Karl Marx se cantonne dans le siècle actuel et surtout dans l’industrie, la grande industrie, et il s’efforce d’établir que le salaire n’attribue pas au travailleur la part légitime à laquelle il a droit dans l’œuvre de la production. Karl Marx n’a pas réduit ses revendications à une réforme de l’impôt ni enseigné que l’impôt peut être un instrument de réparation sociale. Mais Lassalle et Schaeffle, qui appartiennent au même mouvement que KarlMarx, ont admis qu’en attendant des changementsplus efficaces dans l’organisation sociale et la rétribution du travail, l’impôt pouvait servir à amoindrir les inégalités sociales résultant de la répartition de la production. On ne saurait nier que déjà, dans les budgets de quelques États, ces deux grandes doctrines n’aient pris pied (V. Impôt, § 13). A côté de ces deux théories, il faut en placer une dernière, celle qu’ont inspirée les prodigieux résultats de la colonisationaméricaine et australienne. La rente de la terre, la plus-value du sol, devraient suffire aux dépenses publiques (V. Socialisme). On les évalue à 25 milliards au moins, par an. La plus-value du sol en France de 18oi à 1879, période très prospère, s’est élevée à un milliard, en réalité, par an. Les budgets ont absorbé, en moyenne, le double. Cette théorie se rapproche singulièrement de celle des physiocrates à la fin du dernier siècle. Elle se relie intimement à la théoriede l’inégalité dans la répartition de la production, puisqu’elle repose sur le fait des monopoles, en plus ou moins de mains, de la propriété foncière. Quelle part des dépenses publiques pourrait être supportéepar la rente du sol ? On peut, sans hésiter, considérer l’impôt foncier, en France, rural et urbain, comme une expérimentation scientifique à cet égard, parce que, dans l’Assemblée constituante, c’était précisément cette rente que l’on voulait atteindre. A tous égards, l’expérience a été négative, si négative que, pendant dix ans, l’impôt foncier a été impossible à recouvrer et que, même au-