Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/71

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mot industrie ; l’appellation de travail ne saurait lui convenir.

S’ils se refusent à sanctionner les habitudes du langage courant lorsqu’il étend la signification du mot industrie, les économistes acceptent, au contraire, l’usage qui s’est introduit d’employer ce terme dans des acceptions restreintes. C’est ainsi, qu’après avoir, comme on l’a vu au début de ce paragraphe, défini l’industrie « l’ensemble des entreprises de toute sorte dontl’objet immédiat est de produire ou de faire circuler la richesse », ils se servent du même mot pour désigner certaines parties de cet ensemble. Ils n’hésitent pas, par exemple, à opposer Tune à l’autre la grande industrie et la petite industrie. Bien plus, de même que Ton distingue la science, synthèse générale de nos connaissances, et les diverses sciences, les économistes distinguent l’industrie et les diverses industries. Ils diront, par exemple, que l’industrie d’un peuple comprend les industries agricole, manufacturière, commerciale, etc. — Parfois même, chose plus étrange, semble-t-il, le même mot industrie est appliqué par eux à une seule branche de la production pour la distinguer des autres, ou à toutes, sauf l’une d’elles, pour les distinguer de cette dernière. Ils désignent, en effet, souvent par le mot industrie la seule industrie manufacturière, en appelant les autres de noms spéciaux, tels que commerce, transports, agriculture. Et, plus souvent encore, ils groupent sous cette dénomination d’industrie (en disant, au besoin, pour plus de clarté, industrie proprement dite) toutes les industries sauf l’agriculture. Ils entendent alors opposer l’ensemble des exploitations agricoles à l’ensemble de toutes les autres.

Ces diverses altérations du sens d’un mot aussi important sont certainement regrettables à divers égards. Mais, dans l’état actuel de la langue, il faut s’y résigner, les termes spéciaux qui les rendraient inutiles faisant défaut. Il est bon seulement de prendre quelques précautions, de peur qu’à employer un même mot dans des acceptions aussi variables, on ne tombe dans la confusion. . Aperçu historique du développement de l’industrie. Son organisation chez les peuples civilisés modernes.

S’il faut en croire un grand philosophe contemporain, une loi unique présiderait à l’évolution de tous les phénomènes : loi de la différenciation ou, si Ton veut, loi de la substitution de l’hétérogène à l’homogène. Ce principe, qui reçoit incontestablement son application durant la croissance de tout organisme physique, dominerait aussi le développement des organismes sociaux. Rien, mieux que l’histoire de l’industrie et de son organisation, n’est fait pour rendre cette affirmation vraisemblable.

Remontant, par la pensée ou par l’observation, aux peuplades restées à l’état sauvage, nous sommes en droit de supposer qu’aux débuts de l’humanité chacun devait se suffire à soi-même et, organe unique et isolé centralisant toutes les fonctions, exercer successivement les diverses industries nécessaires à l’entretien de sa vie. Les premières sociétés dont nous connaissons l’histoire nous montrent ensuite l’industrie dans un état rudimentaire, mais commençant déjà à s’organiser. Groupés autour d’un chef absolu, patriarche, chef de clan ou de tribu, des hommes encore peu nombreux se partagent les diverses occupations. A ce moment, il y a déjà coopération sociale, parfois même division du travail, mais non pas spécialisation des hommes dans les divers travaux. Selon les ordres du chef, un même individu remplit tour à tour des rôles variés, le plus souvent on se livre en commun aux mêmes occupations et c’est en commun aussi qu’ont lieu les consommations.

Mais, peu à peu, des aptitudes diverses se manifestent, l’habitude vient d’employer de préférence chacun à la tâche dont il s’acquitte le mieux. Alors seulement toutes les différenciations dont l’organisation industrielle est susceptible commencent à s’accuser et de la masse, amorphe jusque-là, commencent à sortir des organes distincts dont cha* cun s’adapte à une fonction déterminée. Trois causes achèvent graduellement, à mesure que la civilisation progresse, le mouvement commencé. D’abord, l’augmentation des besoins, résultat de l’accroissement de la population et de raffinement des individus, oblige les hommes à chercher les combinaisons les plus productives ; or on sait combien la production augmente lorsque chacun se borne à un seul genre d’efforts, sauf à se procurer par l’échange les objets qu’il n’aura pas fabriqués (V. Division du travail). Puis, les découvertes et les inventions, en ouvrant à l’activité humaine des voies nouvelles, augmentent à l’infini la variété des occupations et nécessitent les groupements les plus dissemblables des forces productives. Enfin les progrès de la liberté économique, l’accession de plus en plus complète des individus au droit de travailler, d’approprier la richesse et de l’échanger sans être entravés par l’intervention d’une autorité supérieure, achèvent, en assurant à l’initiative de chacun son libre jeu, de porter l’organisation de l’industrie au plus haut