Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/96

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qu’ils y soient ; ce ne seraient là que des considérations un peu particulières et qui ne .touchent qu’à un côté de la question comme les critiques qui les ont appelées. En effet, dans les protestations que l’on élève contre les relations sociales que l’intérêt établit entre ceux qui mettent en œuvre le capital et ceux qui le possèdent, nous voyons bien que Ton tient compte des avantages que ceuxci en retirent, mais non des services qu’ils rendent ; il semble, en outre, que Ton ignore le profit qui en revient aux travailleurs et que, dans son ensemble, cet état de choses est conforme aux intérêts généraux de la société.

Et d’abord, le privilège du capitaliste entraîne pour celui-ci une charge, puisqu’il n’en jouit qu’à la condition de mettre son capital en circulation, c’est-à-dire de l’envoyer là où il peut servir à créer la richesse. Et qui ne voit que c’est là, dans Tordre économique et social, une fonction importante et nécessaire sans laquelle les capitaux ne se déplaceraient que rarement et difficilement, et que. c’est par un incessant rayonnement autour des centres où il est produit que le capital en quête d’emploi contribue à étendre ou à accroître la production et à créer de nouvelles richesses. Si d’ailleurs elle est rémunérée, cette fonction est en même temps accompagnée d’une sanction sévère. Le capitaliste ne peut, sans courir à la ruine, mettre «a fortune en circulation autrement que dans Tintérêt de l’humanité, car tout capital confié à une industrie insuffisamment productive est destiné à disparaître.

Ceux qui mettent en valeur le capital qui leur est confié, loin de fournir au capitaliste, comme on le prétend, les produits de leur travail sans en rien recevoir, en retirent d’importants services, et non seulement ceuxci, mais tous ceux qui de près ou de loin concourent à la production dans laquelle le capital est engagé, et même la société tout entière autour d’eux.

On sait dans quelle énorme proportion, ïe capital accroît la production partout où il va la féconder. De la richesse ainsi créée, c’est •la moindre partie qui revient au capitaliste, le reste se répand sous forme de salaires, de frais de production et de réduction de prix des produits sur les travailleurs employés, sur les producteurs qui ont fourni la matière première et les outillages nécessaires et sur leurs ouvriers, enfin sur les consommateurs de la richesse créée.

Placer son capital à intérêt, nous entendons par là le prêter à la production, — car la science économique ne connaît pas d’autre placement, -— c’est donc, non pas exploiter l’homme et l’asservir, mais le faire bénéficier de sa richesse ; on ne saurait nier cette conclusion sans nier le rôle du capital, le phénomène de la production et tous les bienfaits qu’elle répand autour d’elle par ses enchaînements.

On peut se demander si les adversaires des profits du capitaliste ont envisagé les suites qu’aurait la suppression de ces profits et comment ils n’ont pas vu qu’elle tournerait au détriment de ceux-là même à qui ils pensent qu’en reviendrait le bénéfice. ïl est clair que la suppression de l’intérêt aurait pour effet d’immobiliser le capital entre les mains de ses possesseurs, et qu’à supposer que chacun d’eux fût à même de faire fructifier son propre capital, ce serait leur conférer le monopole de la production et leur attribuer, non plus une part, mais la totalité des bénéfices qui en résultent. Une telle organisation aurait pour résultat d’accroître indéfiniment, et par un mouvement beaucoup plus rapide, le capital entre les mains de ceux qui le possèdent déjà.

Mais combien serait aggravée la situation de ceux qui en sont dénués ! Dans quelle énorme proportion le travail et la production ne seraient-ils pas réduits, dans l’hypothèse où il serait interdit au capital de produire en dehors des mains de ses possesseurs ? En faisant disparaître toutes les industries qui s’appuient sur des capitaux d’emprunt, la suppression du prêt à intérêt aurait une répercussion presque indéfinie sur toutes les branches de la production et des échanges ; elle entraînerait une diminution énorme du labeur humain ; édicter cette suppression, ce serait décréter le chômage et la famine pour une multitude de travailleurs. Les révolutions que- l’usure souleva dans l’ancienne Rome se renouvelleraient de nos jours et le peuple se retirerait sur le Mont Sacré, non plus pour réclamer l’abolition de l’intérêt, mais pour en exiger le rétablissement.

Quant à l’Etat, c’est équitablement qu’il sert une rente à ceux dont il a consommé les capitaux, mais ses appels au crédit ne sont légitimes et justifiés que lorsqu’il en doit résulter une réelle et suffisante utilité pour les contribuables sur qui doit retomber la charge de ces emprunts.

H. INTERVENTION DE L’ÉTAT EN MATIÈRE D’INTÉRÊT.

On sait les erreurs de doctrine qui sont nées de l’ignorance où l’on a été pendant de longs siècles sur la nature de l’intérêt, sur sa raison d’être, sur son utilité, et les abus engendrés par l’emploi mal compris de ce