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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

seur de bestiaux, par le mégissier, par le corroyeur, par tous ceux qui fournissent de près ou de loin quelque matière ou quelque outil propres à la fabrication des bottes ; et, quoiqu’il y ait une assez grande subdivision de travail dans la confection de ce produit, la plupart de ces producteurs y concourent avec d’assez petits capitaux.

Après avoir examiné les avantages et les bornes de la subdivision des différens travaux de l’industrie, si nous voulons avoir une vue complète du sujet, il convient d’observer les inconvéniens qu’elle traîne à sa suite.

Un homme qui ne fait, pendant toute sa vie, qu’une même opération, parvient à coup sûr à l’exécuter mieux et plus promptement qu’un autre homme ; mais en même temps il devient moins capable de toute autre occupation, soit physique, soit morale ; ses autres facultés s’éteignent, et il en résulte une dégénération dans l’homme considéré individuellement. C’est un triste témoignage à se rendre, que de n’avoir jamais fait que la dix-huitième partie d’une épingle ; et qu’on ne s’imagine pas que ce soit uniquement l’ouvrier qui toute sa vie conduit une lime ou un marteau, qui dégénère ainsi de la dignité de sa nature ; c’est encore l’homme qui par état exerce les facultés les plus déliées de son esprit. C’est bien par une suite de la séparation des occupations que près des tribunaux il y a des procureurs dont l’unique occupation est de représenter les plaideurs, et de suivre pour eux tous les détails de la procédure. On ne refuse pas en général à ces hommes de loi l’adresse ni l’esprit de ressources dans les choses qui tiennent à leur métier ; cependant il est tel procureur, même parmi les plus habiles, qui ignore les plus simples procédés des arts dont il fait usage à tout moment : s’il faut qu’il raccommode le moindre de ses meubles, il ne saura par où s’y prendre ; il lui sera impossible même d’enfoncer un clou sans faire sourire le plus médiocre apprenti : et qu’on le mette dans une situation plus importante ; qu’il s’agisse de sauver la vie d’un ami qui se noie, de préserver sa ville des embûches de l’ennemi, il sera bien autrement embarrassé ; tandis qu’un paysan grossier, l’habitant d’un pays demi-sauvage, se tirera avec honneur d’une semblable difficulté.

Dans la classe des ouvriers, cette incapacité pour plus d’un emploi rend plus dure, plus fastidieuse et moins lucrative la condition des travailleurs. Ils ont moins de facilité pour réclamer une part équitable dans la valeur totale du produit. L’ouvrier qui porte dans ses bras tout un métier, peut aller partout exercer son industrie, et trouver des moyens de subsister ; l’autre n’est qu’un accessoire qui, séparé de ses confrères, n’a plus ni