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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XV.

désir est de le vendre, pour que la valeur de ce produit ne chôme pas entre ses mains. Mais il n’est pas moins empressé de se défaire de l’argent que lui procure sa vente, pour que la valeur de l’argent ne chôme pas non plus. Or, on ne peut se défaire de son argent qu’en demandant à acheter un produit quelconque. On voit donc que le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès l’instant même, un débouché à d’autres produits.

C’est pour cela qu’une bonne récolte n’est pas seulement favorable aux cultivateurs, et qu’elle l’est en même temps aux marchands de tous les autres produits. On achète davantage toutes les fois qu’on recueille davantage. Une mauvaise récolte, au contraire, nuit à toutes les ventes. Il en est de même des récoltes faites par les arts et le commerce. Une branche de commerce qui prospère fournit de quoi acheter, et procure conséquemment des ventes à tous les autres commerces ; et d’un autre côté, quand une partie des manufactures ou des genres de commerce devient languissante, la plupart des autres en souffrent.

Cela étant ainsi, d’où vient, demandera-t-on, cette quantité de marchandises qui, à certaines époques, encombrent la circulation, sans pouvoir trouver d’acheteurs ? Pourquoi ces marchandises ne s’achètent-elles pas les unes les autres ? Je répondrai que des marchandises qui ne se vendent pas, ou qui se vendent à perte, excèdent la somme des besoins qu’on a de ces marchandises, soit parce qu’on en a produit des quantités trop considérables, soit plutôt parce que d’autres productions ont souffert. Certains produits surabondent, parce que d’autres sont venus à manquer.

En termes plus vulgaires, beaucoup de gens ont moins acheté, parce qu’ils ont moins gagné[1] ; et ils ont moins gagné, parce qu’ils ont trouvé des difficultés dans l’emploi de leurs moyens de production, ou bien parce que ces moyens leur ont manqué.

Aussi l’on peut remarquer que les temps où certaines denrées ne se vendent pas bien, sont précisément ceux où d’autres denrées montent à des prix excessifs[2] ; et comme ces prix élevés seraient des motifs pour

  1. Les gains se composent, dans tous les états, depuis le plus gros négociant jusqu’au plus simple manœuvre, de la part qu’on obtient dans les valeurs produites. Les proportions suivant lesquelles cette distribution se fait, forment là matière du second livre de cet ouvrage.
  2. Il est facile à tout lecteur d’appliquer ces observations générales aux pays et aux époques dont il a connaissance. Nous en avons eu un exemple bien frappant en France, dans les années 1811, 1812 et 1815, où l’on a vu marcher de front le prix exorbitant des denrées coloniales, du blé, et de plusieurs autres produits avec l’avilissement de beaucoup de denrées qui ne trouvaient que des débouchés désavantageux.