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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

tains, et qui se sentent protégés par les forces militaires, soit de leur nation, soit de leur compagnie, est-il bien sûr, dis-je, qu’ils soient plus propres à entretenir des relations de bonne amitié, que des particuliers nécessairement plus soumis aux lois des peuples qui les reçoivent ; que des particuliers à qui l’intérêt personnel interdit tout mauvais procédé, à la suite duquel leurs biens, et peut-être leurs personnes pourraient être exposés[1] ? Enfin, mettant les choses au pis, et supposant que sans une compagnie privilégiée le commerce de la Chine fût impossible, serait-on pour cela privé des produits de cette contrée ? Non, assurément. Le commerce des denrées de Chine se fera toujours, par la raison que ce commerce convient aux chinois comme à la nation qui le fera. Paiera-t-on ces denrées un prix extravagant ? On ne doit pas le supposer, quand on voit les trois quarts des nations d’Europe qui n’envoient pas un seul vaisseau à la Chine, et qui n’en sont pas moins bien pourvues de thé, de soies et de nankin, à des prix fort raisonnables.

Un autre argument plus généralement applicable, et dont on a tiré plus de parti, est celui-ci : une compagnie achetant seule dans les pays dont elle a le commerce exclusif, n’y établit point de concurrence d’acheteurs, et par conséquent obtient les denrées à meilleur marché.

D’abord il n’est pas exact de dire que le privilége écarte toute concurrence. Il écarte, à la vérité, la concurrence des compatriotes, qui serait fort utile à la nation ; mais il n’exclut pas du même commerce les compagnies privilégiées, ni les négocians libres des autres états.

En second lieu, il est beaucoup de denrées dont les prix n’augmenteraient pas en raison de la concurrence qu’on affecte de redouter, et qui, au fond, est assez peu de chose.

S’il partait de Marseille, de Bordeaux, de Lorient, des vaisseaux pour aller acheter du thé à la Chine, il ne faut pas croire que les armateurs de tous ces navires réunis, achetassent plus de thé que la France n’en peut consommer ou vendre ; ils auraient trop de peur de ne pouvoir s’en défaire. Or, s’ils n’en achètent pour nous que ce qui s’en achète pour nous par d’autres négocians, le débit du thé en Chine n’en sera pas augmenté :

  1. C’est ce qui a été prouvé par les relations commerciales des États-Unis avec la Chine. Les négocians des États-Unis se conduisent à Canton avec plus de discrétion, et y sont mieux vus du gouvernement que les agens de la compagnie anglaise. Pendant plus d’un siècle, les Portugais ont fait, sans compagnie, le commerce de l’Asie avec plus de succès qu’aucune autre nation à la même époque.