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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVIII.

Mais de tous les moyens qu’ont les gouvernemens de favoriser la production, le plus puissant, c’est de pourvoir à la sûreté des personnes et des propriétés, surtout quand ils les garantissent même des atteintes du pouvoir arbitraire[1]. Cette seule protection est plus favorable à la prospérité générale que toutes les entraves inventées jusqu’à ce jour ne lui ont été contraires. Les entraves compriment l’essor de la production ; le défaut de sûreté la supprime tout-à-fait.

Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer les états soumis à la domination ottomane et ceux de notre Europe occidentale. Voyez l’Afrique presque entière, l’Arabie, la Perse, cette Asie-Mineure, autrefois couverte de villes si florissantes, dont, suivant l’expression de Montesquieu, il ne reste de vestiges que dans Strabon : on y est pillé par des brigands, par des pachas ; la richesse et la population ont fui, et les hommes clairsemés qui y restent manquent de tout. Jetez au contraire les yeux sur l’Europe, quoiqu’elle soit fort éloignée d’être aussi florissante qu’elle le deviendra : la plupart des états y prospèrent, tout accablés qu’ils sont d’une foule de réglemens et d’impôts, par cela seul qu’on y est, en général, à l’abri des outrages personnels et des spoliations arbitraires. La prospérité des républiques américaines est bien plus marquée encore, parce qu’à la sûreté s’y trouve jointe une plus grande liberté, et que les lois, surtout les lois fiscales, y sont faites, non dans l’intérêt de la partie gouvernante des nation, mais dans l’intérêt de tous.

J’ai oublié de parler d’un autre moyen par lequel un gouvernement peut contribuer à augmenter momentanément les richesses de son pays. Ce moyen consiste à dépouiller les autres nations de leurs propriétés mobilières pour les rapporter chez soi, et à leur imposer des tributs énormes pour les dépouiller des biens encore à naître : c’est ce que firent les romains vers les derniers temps de la république, et sous les premiers empereurs ; ce système est analogue à celui que suivent les gens qui abusent de leur pouvoir et de leur adresse pour s’enrichir. Ils ne produisent pas ; ils ravissent les produits des autres.

  1. Smith, passant en revue les véritables causes de la prospérité de la Grande-Bretagne (Rich. des Nat., liv. IV, ch. 7), met au premier rang « cette prompte et impartiale administration de la justice, qui rend les droits du dernier citoyen respectables pour le plus puissant, et qui, assurant à chacun le fruit de son travail, donne le plus réel de tous les encouragemens à toute espèce d’industrie. » Poivre, qui avait tant voyagé, assure qu’il n’a jamais vu de pays véritablement prospère que ceux où la liberté d’industrie était jointe à la sûreté.