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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XIX.

métropole, on peut de même répondre : cette puissance n’est utile, exercée au loin, que pour assurer la possession des colonies ; et si les colonies elles-mêmes ne sont pas un avantage, pourquoi en achèterait-on si chèrement la conservation[1] ?

La perte que l’Angleterre a faite de ses colonies de l’Amérique septentrionale a été un gain pour elle. C’est un fait que je n’ai vu contesté nulle part[2]. Or, pour tenter de les conserver, elle a supporté, pendant la guerre d’Amérique, une dépense extraordinaire et inutile de plus de dix-huit cents millions de francs. Quel déplorable calcul ! Elle pouvait faire le même gain, c’est-à-dire rendre ses colonies indépendantes, ne pas dépenser un sou pour cela, épargner le sang de ses braves, et se donner, aux yeux de l’Europe et de l’histoire, les honneurs de la générosité[3].

  1. Voyez dans les Œuvres de Franklin (tome II, page 50) ce qu’en pensait cet homme célèbre, qui était si versé dans ces matières. Je lis, dans un Voyage de lord Valentia, que l’établissement du Cap de Bonne-Espérance coûtait annuellement aux Anglais, en 1802, six à sept millions de francs au-delà de ce qu’il rapportait.
  2. « Bristol était le principal entrepôt du commerce avec l’Amérique du nord. Les négocians et les principaux habitans se réunirent pour déclarer au parlement, de la manière la plus énergique, que leur cité était ruinée à jamais si l’indépendance des États-Unis était reconnue, ajoutant qu’il n’entrerait plus dans leur port assez de vaisseaux pour qu’il valût la peine de l’entretenir. Malgré ces représentations, la nécessité força de conclure la paix, et de consentir à cette séparation si redoutée. Dix ans n’étaient pas écoulés, que les mêmes négocians de Bristol s’adressaient au parlement pour demander un bill qui les autorisât à creuser et agrandir ce port, qui, loin d’être devenu désert, comme ils le craignaient, ne se trouvait plus assez grand pour contenir tous les navires que l’extension du commerce avec l’Amérique indépendante y amenait. » De Lévis, Lettres chinoises.
  3. Il faut appliquer, avec quelque restriction, ce que je dis ici des colonies à celles des Anglais dans l’Inde, parce que les Anglais n’y sont pas de simples colons ; ils y sont souverains de soixante millions d’Indous, et profitent des tributs que ces Indous paient comme sujets ; mais ces profits ne sont pas si considérables qu’on le croit, parce qu’il faut en déduire les frais d’administration et de défense de ces vastes états. Colquhoun (A Treatise on the wealth of the british Empire), qui généralement exagère les ressources de l’Angleterre, donne un tableau qui porte les contributions payées au gouvernement de la compagnie à . . . . . . . . 18,051,478 liv. st.
    et ses dépenses à . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16,984,271
    Excédant des recettes sur les dépenses . . . 1,067,297 liv. st.

    L’Inde, qui jouit de la paix et d’une prospérité croissante sous le despotisme éclairé des Anglais, ne pourrait devenir indépendante sans retomber sous le joug d’une multitude de princes du pays qui se feraient continuellement la guerre, pilleraient et massacreraient leurs sujets comme autrefois. Il n’y aurait rien à gagner à cet affranchissement ni pour les Indous ni pour les Anglais.