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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXV.

que leurs sujets, dans les relations qu’ils avaient entre eux, se prévalussent de cette circonstance pour leur profit particulier. Le gouvernement a bien toujours entendu payer moins ou recevoir plus d’argent fin qu’il ne devait en payer ou en recevoir ; mais il a quelquefois obligé les particuliers, au moment d’un changement, à payer et à recevoir en monnaie ancienne, ou bien en monnaie nouvelle au cours qui s’établissait entre les deux monnaies[1].

Les romains en avaient donné l’exemple lorsque, dans la seconde guerre punique, ils réduisirent à une once de cuivre l’as qui en pesait deux. La république paya en as, c’est-à-dire, la moitié de ce qu’elle devait. Quant aux particuliers, leurs obligations étaient stipulées en deniers : le denier jusque-là n’avait valu que 10 as ; l’ordonnance porta qu’il en vaudrait 16. Il fallut payer 16 as ou 16 onces de cuivre pour un denier : auparavant on en aurait payé 20, c’est-à-dire, pour chaque denier, 10 as à 2 onces chaque. La république fit banqueroute de moitié, et n’autorisa les particuliers à la faire que d’un cinquième.

On a quelquefois regardé une banqueroute faite par l’altération des monnaies comme une banqueroute simple et franche, portant réduction de la dette. On a cru qu’il était moins dur pour un créancier de l’état de recevoir une monnaie altérée, qu’il peut donner pour la même valeur qu’il l’a reçue, que de voir sa créance réduite d’un quart, de moitié, etc. Distinguons. Des deux manières, le créancier supporte la perte quant aux achats qu’il fait postérieurement à la banqueroute. Que ses rentes soient diminuées de moitié, ou qu’il paie tout le double plus cher, cela revient exactement au même pour lui.

Quant aux créanciers qu’il a, il les paie à la vérité sur le même pied qu’il est payé lui-même par le trésor public ; mais sur quel fondement croit-on que les créanciers de l’état soient toujours débiteurs relativement aux autres citoyens ? Leurs relations privées sont les mêmes que celles des autres personnes ; et tout porte à croire qu’en somme totale, il est dû autant aux créanciers de l’état par les autres particuliers, qu’il est dû à ceux-ci par les créanciers de l’état. Ainsi l’injustice qu’on les autorise à exercer est compensée par celle à laquelle on les expose, et la banqueroute provenant de l’altération des monnaies ne leur est pas moins fâcheuse que toute autre.

  1. Voyez l’ordonnance de Philippe-le-Bel, de 1302 ; celles de Philippe de Valois, de 1329 et de 1343 ; celle du roi Jean, de 1334 ; celle de Charles VI, de 1421.