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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXVIII.

d’abord à savoir ce qu’un talent pouvait acheter de blé. Jusqu’à Démosthènes on n’a pas de document sur le prix du blé ; mais dans le plaidoyer de Démosthènes contre Phormion, on lit : « le blé étant fort cher, et tandis qu’il se vendait jusqu’à 16 drachmes, nous en avons fait venir plus de cent mille médimnes au prix ordinaire de la taxe, à cinq drachmes ».

Voilà donc le prix le plus ordinaire du blé à Athènes : cinq drachmes par médimne. Le talent attique contenait 6,000 drachmes. À cinq par médimne, le talent pouvait donc acheter 1,200 médimnes de blé. Il s’agit maintenant de réduire 1,200 médimnes en mesures de notre temps. Or, on sait par d’autres voies que chaque médimne équivalait à 52 de nos litres, ou (à très-peu de chose près) un demi-hectolitre. Douze cents médimnes feraient donc 600 hectolitres, qui, au prix moyen de notre temps, qui ne s’éloigne pas beaucoup de 19 francs l’hectolitre, vaudraient, de nos jours, 11,400 francs. Ces matières n’admettent pas une exactitude extrême ; cependant nous sommes assurés d’arriver, par cette méthode, beaucoup plus près de la vérité que l’abbé Barthélemy, qui, dans son voyage d’Anacharsis, n’évalue le talent attique que 5,400 francs.

Si nous désirons nous former quelqu’idée des valeurs, à l’époque la plus célèbre de l’histoire romaine, c’est-à-dire au temps de César, nous chercherons ce que chaque somme pouvait acheter de blé, et nous évaluerons ce que la même quantité de blé peut valoir à présent. Le modius était une mesure qui se vendait communément 3 sesterces[1]. Les antiquaires diffèrent peu sur la capacité du modius. Les uns le disent égal à 8 58 sur 100 litres, les autres à 8 82/100. Prenons le terme moyen de 8 7/10, et à ce compte un sesterce vaudrait autant qu’un tiers de 8 7/10 litres, c’est-à-dire que 2 9 sur 10 litres. Or, à 19 francs l’hectolitre, cette quantité de blé équivaut à 55 centimes[2]. C’est plus d’une moitié en sus des évaluations qui ont été faites jusqu’ici du sesterce, et cela donne une idée plus juste des sommes dont il est fait mention dans les auteurs de cette époque[3].

  1. Voyez Garnier, Histoire des Monnaies, tome II, page 334.
  2. Dans les précédentes éditions de cet ouvrage, le sesterce romain est évalué plus haut. J’ai préféré la présente évaluation, parce que j’en crois les bases meilleures.
  3. Horace (Ép. 2, liv. II) parle d’une terre considérable (le sens exige qu’elle le soit), et qu’il porte à la valeur de 300 mille sesterces. D’après l’évaluation ci-dessus elle doit avoir valu 163,000 francs. Dacier, traducteur peu philosophe du poète-philosophe, l’évalue 22,500 francs, ce qui forme un véritable contre-sens.

    On prétend que Caligula absorba en moins d’un an les trésors amassés par Tibère, qui se montaient à 2 milliards 700 millions de sesterces, que La Harpe traduit par 546 de nos millions ; tandis que, d’après l’évaluation de 53 centimes par sesterce, cette somme équivaut à près de 1,300 millions de francs. En effet, on ne voit pas trop comment Caligula eût pu exécuter à moins ses dispendieuses folies.