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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

creuser des mines et des canaux, défricher des terres incultes, entreprendre des spéculations lointaines, aucuns fonds, en un mot, destinés à être employés comme capitaux engagés, qu’on ne peut pas résoudre en monnaie au moment qu’on veut. La nature des billets au porteur est d’être perpétuellement exigibles ; lorsque la totalité de leur valeur ne se trouve pas en argent dans les coffres de la banque, elle doit donc au moins s’y trouver en effets dont le terme soit très-rapproché ; or, une entreprise qui verse les fonds qu’elle emprunte dans un emploi d’où ils ne peuvent pas être retirés à volonté, ne saurait fournir de tels engagemens.

Rendons ceci plus sensible au moyen d’un exemple.

Je suppose qu’une banque de circulation prête en billets de confiance valant de l’argent, à un propriétaire de terre, trente mille francs hypothéqués sur sa terre : le gage est de toute solidité. Le propriétaire fait construire avec ces fonds un bâtiment d’exploitation dont il a besoin ; pour cet effet, il conclut un marché avec un entrepreneur de bâtimens, et lui paie les trente mille francs en billets de la banque. Supposé maintenant que l’entrepreneur, au bout de quelque temps, veuille toucher le montant des billets, il est évident que la banque ne peut se servir du gage qu’elle a pour les payer. Elle n’a pour gage de cette somme de billets qu’une obligation très-solide à la vérité, mais qui n’est pas exigible.

J’observe que les obligations que possède une banque, pourvu qu’elles soient souscrites par des gens solvables, et que l’échéance n’en soit pas trop éloignée, doivent être aux yeux du public un gage suffisant de tous les billets qu’elle a émis. Pour pouvoir les acquitter tous, il lui suffit de n’en plus émettre de nouveaux, c’est-à-dire de cesser ses escomptes, et de laisser arriver l’échéance des effets de commerce qui remplissent ses porte-feuilles ; car ces effets seront acquittés, soit avec de l’argent, soit avec des billets de la banque. Dans le premier cas, la banque reçoit de quoi acquitter ses billets ; dans le second, elle en est dispensée.

On comprend maintenant pourquoi mille projets de banques agricoles, où l’on a prétendu pouvoir fonder des billets remplissant l’office de monnaie, sur de solides hypothèques territoriales, et d’autres projets de même nature, se sont toujours écroulés en peu de temps, avec plus ou moins de perte pour leurs actionnaires ou pour le public[1]. La monnaie équivaut à un billet de toute solidité et payable à l’instant ; elle ne peut

  1. En 1805, la banque territoriale établie à Paris fut, par cette cause, obligée de suspendre le paiement en numéraire de ses billets, et de déclarer qu’elle ne les rembourserait qu’à mesure qu’on réussirait à vendre les immeubles sur lesquels ils étaient hypothéqués.