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LIVRE SECOND. — CHAPITRE I.

nombre de consommateurs. Les classes qui demandent sont au contraire d’autant moins nombreuses, que la valeur du produit va en s’élevant.

Si, dans un hiver rigoureux, on parvient à faire des gilets de laine tricotée qui ne reviennent qu’à six francs, il est probable que tous les gens auxquels il restera six francs, après qu’ils auront satisfait à tous les besoins qui sont ou qu’ils regardent comme plus indispensables qu’un gilet de laine, en achèteront. Mais ceux auxquels, quand tous leurs besoins plus indispensables auront été satisfaits, il ne restera que 5 francs, n’en pourront acheter. Si l’on parvient à fabriquer les mêmes gilets pour 5 francs, le nombre de leurs consommateurs s’accroîtra de toute cette dernière classe. Ce nombre s’accroîtra encore si l’on parvient à les donner pour 4 francs ; et c’est ainsi que des produits qui jadis n’étaient qu’à l’usage des plus grandes fortunes, comme les bas, se sont maintenant répandus dans presque toutes les classes.

L’effet contraire a lieu lorsqu’une marchandise hausse de prix, soit à cause de l’impôt, soit par tout autre motif. Elle cesse d’avoir le même nombre de consommateurs ; car on ne peut acquérir en général que ce qu’on peut payer, et les causes qui élèvent le prix des choses, ne sont par celles qui augmentent les facultés des acquéreurs. C’est ainsi que presque partout le bas peuple est obligé de se passer d’une foule de produits qui conviennent à une société civilisée, par la nécessité où il est de se procurer d’autres produits plus essentiels pour son existence.

En pareil cas, non-seulement le nombre des consommateurs diminue, mais chaque consommateur réduit sa consommation. Il est tel consommateur de café qui, lorsque cette denrée hausse de prix, peut n’être pas forcé de renoncer entièrement aux douceurs de ce breuvage. Il réduira seulement sa provision accoutumée : alors il faut le considérer comme formant deux individus ; l’un disposé à payer le prix demandé, l’autre se désistant de sa demande.

Dans les spéculations commerciales, l’acheteur, ne s’approvisionnant pas pour sa propre consommation, proportionne ses achats à ce qu’il espère pouvoir vendre ; or, la quantité de marchandises qu’il pourra vendre étant proportionnée au prix où il pourra les établir, il en achètera d’autant moins que le prix en sera plus élevé, et d’autant plus que le prix sera moindre.

Dans un pays pauvre, des choses d’une utilité bien commune et d’un prix peu élevé excèdent souvent les facultés d’une grande partie du peuple. On voit des provinces où les souliers sont au-dessus de la portée de la