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LIVRE SECOND. — CHAPITRE VII.

pulsion du besoin. La civilisation et l’industrie devinrent toujours la proie de la barbarie et de la pauvreté, jusqu’à ce qu’enfin Rome elle-même disparut devant les Goths et les Vandales.

L’Europe, replongée dans la barbarie au moyen âge, éprouva un sort plus triste encore, mais analogue à celui des premiers temps de la Grèce et de l’Italie. Chaque baron ou grand propriétaire avait, sous différentes dénominations, une clientelle d’hommes qui vivaient sur leurs domaines, et suivaient leurs drapeaux dans les guerres intestines et dans les guerres étrangères.

J’entreprendrais sur la tâche de l’historien, si je signalais les causes qui ont graduellement développé l’industrie depuis ces temps de barbarie jusqu’à nous ; mais je ferai seulement remarquer le changement notable qui s’est opéré, et les suites de ce changement. L’industrie a fourni à la masse de la population les moyens d’exister sans être dépendante des grands propriétaires, et sans les menacer perpétuellement. Cette industrie s’est alimentée des capitaux qu’elle-même a su accumuler. Dès-lors plus de clientelles : le plus pauvre citoyen a pu se passer de patron, et se mettre, pour subsister, sous la protection de son talent. De là la constitution de la société dans les temps modernes, où les nations se maintiennent par elles-mêmes, et où les gouvernemens tirent de leurs sujets les secours qu’ils leur accordaient jadis.

Les succès obtenus par les arts et par le commerce ont fait sentir leur importance. On n’a plus fait la guerre pour se piller et détruire les sources mêmes de l’opulence ; on s’est battu pour se les disputer. Depuis deux siècles, toutes les guerres qui n’ont pas eu pour motif une puérile vanité, ont eu pour objet de s’arracher une colonie ou bien une branche de commerce. Ce ne sont plus des barbares qui ont pillé des nations industrieuses et civilisées ; ce sont des nations civilisées qui ont lutté entre elles, et celle qui a vaincu s’est bien gardée de détruire les fondemens de son pouvoir en dépouillant le pays conquis. L’invasion de la Grèce par les turcs, au quinzième siècle, paraît devoir être le dernier triomphe de la barbarie sur la civilisation. La portion industrieuse et civilisée du globe est heureusement devenue trop considérable par rapport à l’autre, pour malheur. Les progrès mêmes de l’art de la guerre ne permettent plus aucun succès durable à des barbares. Les instrumens de la guerre exigent le développement d’une industrie très-perfectionnée. Des armées beaucoup plus nombreuses que celles qu’on levait autrefois, ne peuvent se recruter qu’au moyen d’une