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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

Une propriété en terre profite toujours des circonstances favorables qui l’entourent et jouit auprès de ses voisins, pour les services qu’elle est capable de rendre, d’une préférence marquée sur les terres plus éloignées ; car les produits de celles-ci sont grevés de plus de frais de transport. Si une grande route ou un canal vient à passer près d’un bien-fonds, s’il s’établit des manufactures dans son voisinage, si la population et la richesse du canton prennent de l’accroissement, le bien-fonds en profite. Des terrains dans le voisinage ou dans l’intérieur d’une grande ville, voient décupler leur produit annuel et par suite la valeur du fonds, par l’importance qu’acquiert la ville ou seulement le quartier où ils se trouvent situés. D’où l’on peut conclure qu’il convient d’acheter des biens-fonds ans les pays et dans les cantons qui prospèrent, et de vendre au contraire quand le pays ou le canton décline.

Par la raison qu’une terre ne peut ni se déguiser ni se transporter, elle est plus exposée à porter le faix des charges publiques, et à devenir l’objet des vexations du pouvoir. Les ravages de la grêle, des gelées, de la guerre, retombent presque toujours sur le propriétaire foncier, qui, dans ces cas-là, quand la terre est affermée, est obligé de faire des remises au fermier[1]. Un capital qui n’est pas engagé, se met sous toutes les formes, et s’emporte où l’on veut. Mieux encore que les hommes, il fuit la tyrannie et les guerres civiles. Son acquisition est plus solide ; car il est impossible d’exercer sur ce genre de biens des reprises et des droits de suite. Il y a bien moins de procès pour des biens mobiliers que pour des terres. Néanmoins il faut que le risque des placemens surpasse tous ces avantages, et qu’on préfère les fonds de terre aux capitaux, puisque les terres coûtent davantage en proportion de ce qu’elles rapportent.

Quel que soit le prix auquel s’échangent mutuellement les terres et les capitaux, il est bon de remarquer que ces échanges ne font varier en rien les quantités respectives de services fonciers et de services capitaux qui sont offertes et mises dans la circulation pour concourir à la production, et que ces prix n’influent en rien par conséquent sur les profits réels et absolus des terres et des capitaux. Après qu’Ariste a vendu une terre à Théodon, ce dernier offre les services provenant de sa terre, au lieu d’Ariste qui les offrait auparavant ; et Ariste offre l’emploi du capital

  1. Madame de Sévigné écrivait de la Bretagne (Lettre 224) : « Je serai bien aise que mon fils vienne ici, pour voir un peu par lui-même ce que c’est que l’illusion de croire avoir du bien quand on n’a que des terres. »