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LIVRE SECOND. — CHAPITRE XI.

dans les occupations. Le teinturier s’établira auprès du marchand d’étoffes, le droguiste auprès du teinturier ; le commissionnaire ou l’armateur qui font venir les drogues se rapprochera du droguiste ; et il en sera de même des autres producteurs. De cette agglomération d’individus se forment les villes.

En même temps ceux qui, sans travailler, vivent de leurs capitaux ou de leurs terres, sont attirés dans les villes, où ils trouvent réuni tout ce qui flatte leurs goûts, plus de choix dans la société, plus de variété dans les plaisirs. Les agrémens de la vie des villes y arrêtent les étrangers, et y fixent toutes les personnes qui, vivant de leur travail, sont libres néanmoins de l’exercer indifféremment partout. C’est ainsi qu’elles deviennent non-seulement le séjour des gens de lettres, des artistes, mais aussi le siége des administrations, des tribunaux, des établissemens publics, et s’accroissent encore de toutes les personnes qui tiennent à ces établissemens, et de toutes celles que leurs affaires en rapprochent accidentellement.

Ce n’est pas qu’il n’y ait toujours un certain nombre de gens qui exercent l’industrie manufacturière dans les campagnes, sans parler de ceux qui y sont retenus par leurs goûts : une convenance locale, un ruisseau, une forêt, une mine, fixent beaucoup d’usines et un grand nombre de travailleurs manufacturiers hors de l’enceinte des villes. Il y a même quelques travaux manufacturiers qui ne peuvent être exercés que près des consommateurs, comme ceux du tailleur, du cordonnier, du maréchal ; mais ces travaux n’approchent pas, pour l’importance et la perfection, des travaux manufacturiers de tout genre qui s’exécutent dans les villes.

Les écrivains économiques estiment qu’un pays florissant peut nourrir dans ses villes un nombre d’habitans égal à celui que nourrissent les campagnes. Quelques exemples portent à croire que des travaux mieux entendus, un meilleur choix de cultures et moins de terrains perdus, permettraient, même sur un sol médiocrement fertile, d’en nourrir un bien plus grand nombre[1]. Du moins est-il certain que, lorsque les villes four-

  1. D’après un dénombrement mis sous les yeux du parlement, en 1811, il se trouvait dans l’île de la Grande-Bretagne 395,998 familles d’agriculteurs, et le nombre total des familles de cette île, qui comprend, comme on sait, l’Écosse et la principauté de Galles, était de 2,544,215 ; de sorte qu’il n’y avait, à très-peu de chose près, qu’un tiers de la population occupée à la culture des terres.

    Suivant les relevés d’Arthur Young, la population des villages et campagnes était en France (dans ses anciennes limites) de 20,521,538 hab.,
    et celle des villes et bourgs, de 5,709,270
    En tout ……. 26,230,808 hab.

    D’après le principe établi ici, et en supposant le relevé d’Arthur Young exact, on voit que l’ancienne France, si elle avait une population qui allât seulement au double de ses cultivateurs, aurait 41 millions d’habitans, et qu’elle en aurait près de 60 millions, si les productions de son industrie étaient, proportion gardée, égales à celles de la Grande-Bretagne.

    Les voyageurs remarquent que les grandes routes, en France, ne sont pas aussi fréquentées que l’on devrait l’attendre d’un pays si favorisé de la nature. Cela tient évidemment au petit nombre et au peu d’étendue de ses villes. Ce sont les communications de ville à ville qui peuplent les grandes routes, et non les habitans des campagnes, qui ne circulent guère que de leurs chaumières à leurs champs.