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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE V.

quel on est attaché par la naissance, par la fortune, par les affections, soumettent à leur influence jusqu’aux personnes les plus sages, les mieux en état d’en apprécier le danger et d’en prévoir les tristes conséquences. Il n’y a qu’un bien petit nombre d’hommes d’un esprit assez ferme et d’une fortune assez indépendante, pour pouvoir n’agir que d’après leurs principes, et n’avoir de modèles qu’eux-mêmes. La plupart suivent, malgré eux, la foule insensée qui, faute de réflexion, ne s’aperçoit pas qu’une fois que les besoins ordinaires de la vie sont satisfaits, le bonheur ne se rencontre pas dans les vaines jouissances du luxe, mais dans l’exercice modéré de nos facultés physiques et morales.

Les personnes qui, par un grand pouvoir ou de grands talens, cherchent à répandre le goût du luxe, conspirent donc contre le bonheur des nations. Si quelque habitude mérite d’être encouragée dans les monarchies comme dans les républiques, dans les grands états comme dans les petits, c’est uniquement l’économie. Mais a-t-elle besoin d’encouragement ? Ne suffit-il pas de n’en pas accorder à la dissipation en l’honorant ? Ne suffit-il pas de respecter inviolablement toutes les épargnes de leurs emplois, c’est-à-dire, l’entier développement de toute industrie qui n’est pas criminelle ? Quand on ne déprave pas les nations par de mauvais exemples et de mauvaises institutions, et quand on permet qu’elles s’éclairent sur leurs vrais intérêts, elles se conduisent bien. Les extravagances sont individuelles.

En excitant les hommes à dépenser, dit-on, on les excite à produire : il faut bien qu’ils gagnent de quoi soutenir leurs dépenses. — Pour raisonner ainsi, il faut commencer par supposer qu’il dépend des hommes de produire comme de consommer, et qu’il est aussi facile d’augmenter ses revenus que de les manger. Mais quand cela serait, quand il serait vrai de plus que le besoin de la dépense donnât l’amour du travail (ce qui n’est guère conforme à l’expérience), on ne pourrait encore augmenter la production qu’au moyen d’une augmentation de capitaux, qui sont un des élémens nécessaires de la production ; or, les capitaux ne peuvent s’accroître que par l’épargne ; et quelle épargne peut-on attendre de ceux qui ne sont excités à produire que par l’envie de jouir ?

D’ailleurs, quand l’amour du faste inspire le désir de gagner, les ressources lentes et bornées de la production véritable suffisent-elles à l’avidité de ses besoins ? Ne compte-t-il pas plutôt sur les profits rapides et honteux de l’intrigue, industrie ruineuse pour les nations, en ce qu’elle ne produit pas, mais seulement entre en partage des produits des autres ?