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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

si vivement, si prochainement, l’inconvénient d’en manquer. Ajoutez qu’un particulier est excité à l’épargne, non-seulement par son propre intérêt, mais par les sentimens du cœur : son économie assure des ressources aux êtres qui lui sont chers ; un gouvernement économe épargne pour des citoyens qu’il connaît à peine, et les ressources qu’il ménage ne serviront peut-être qu’à ses successeurs.

On se tromperait si l’on supposait que le pouvoir héréditaire met à l’abri de ces inconvéniens. Les considérations qui agissent sur l’homme privé touchent peu le monarque. Il regarde la fortune de ses héritiers comme assurée, pour peu que la succession le soit. Ce n’est pas lui d’ailleurs qui décide de la plupart des dépenses et qui conclut les marchés, ce sont ses ministres, ses généraux ; enfin une expérience constante prouve que les gouvernemens les plus économes ne sont ni les monarchies, ni les gouvernemens démocratiques, mais plutôt les républiques aristocratiques.

Il ne faut pas croire non plus que l’esprit d’économie et de règle dans les consommations publiques, soit incompatible avec le génie qui fait entreprendre et acheter de grandes choses. Charlemagne est un des princes qui ont le plus occupé la renommée : il fit la conquête de l’Italie, de la Hongrie et de l’Autriche, repoussa les sarrasins et dispersa les saxons ; il obtint le titre superbe d’empereur, et néanmoins il a mérité que Montesquieu fît de lui cet éloge : « Un père de famille pourrait apprendre dans les lois de Charlemagne à gouverner sa maison. Il mit une règle admirable dans sa dépense, et fit valoir ses domaines avec sagesse, avec attention, avec économie. On voit dans ses capitulaires la source pure et sacrée d’où il tira ses richesses. Je ne dirai qu’un mot : il ordonnait qu’on vendît les œufs des basses-cours de ses domaines et les herbes inutiles de ses jardins[1]. »

Le prince Eugène de Savoie, qu’on aurait tort de ne considérer que comme un grand homme de guerre, et qui montra la plus haute capacité dans les administrations comme dans les négociations dont il fut chargé, conseillait à l’empereur Charles VI de suivre les avis des négocians dans l’administration de ses finances[2].

Le grand-duc de Toscane Léopold a montré, vers la fin du dix-hui-

  1. Esprit des Lois, liv. XXXI, ch. 18.
  2. Voyez ses Mémoires, page 187. On les lui a contestés, comme on a contesté au cardinal de Richelieu son Testament politique. Si ces hommes n’avaient pas fait ces écrits, qui aurait pu les faire ? Des hommes aussi capables qu’eux ; supposition plus invraisemblable.