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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

particuliers, parce qu’il est moins intéressé qu’eux à n’employer que d’honnêtes gens, et quand, à cette tiédeur pour la bonne morale, se joint l’exemple qu’il donne quelquefois de la dépravation, du mépris de la probité et de l’économie, le gouvernement avance rapidement la corruption d’une nation[1]. Mais un peuple se régénère par des moyens contraires à ceux qui l’ont dépravé. La plupart des colonies ne sont pas composées, dans l’origine, des gens les plus estimables de chaque nation ; cependant, au bout d’un temps assez court, lorsque l’esprit de retour n’y règne pas, et que chacun prévoit qu’il sera obligé d’y terminer ses jours, il est forcé de mettre du prix à l’estime de ses concitoyens ; les mœurs y deviennent bonnes ; et par le mot de mœurs, j’entends toujours l’ensemble des habitudes.

Telles sont les causes qui influent véritablement sur les mœurs. Il faut y joindre l’instruction, en général, qui nous éclaire sur nos vrais intérêts, et qui adoucit notre caractère moral. Quant aux exhortations et aux menaces de châtimens douteux et éloignés, l’expérience des siècles montre qu’elles y influent fort peu.

L’enseignement religieux, rigoureusement parlant, ne devrait être payé que par les différentes sociétés religieuses ; car chacune de ces sociétés regarde comme des erreurs plusieurs des dogmes professés par toutes les autres, et trouve injustes les sacrifices qu’on lui impose pour propager ce qu’elle regarde comme des erreurs.


§ IV. — Des Dépenses relatives aux Établissemens de bienfesance.


Beaucoup de personnes sont d’avis que le malheur seul donne des droits au secours de la société. Il semblerait plutôt que pour réclamer ces secours comme un droit, il faudrait que les malheureux prouvassent que leurs infortunes sont une suite nécessaire de l’ordre social établi, et que cet ordre social lui-même ne leur offrait, en même temps, aucune ressource pour échapper à leurs maux. Si leurs maux ne résultent que de l’infirmité de notre nature, on ne voit pas aisément comment les institutions sociales seraient tenues de les réparer. On le voit encore moins, quand ces maux sont le fruit de leur imprudence et de leurs erreurs, et quand ces erreurs mêmes ont été préjudiciables à la société. Ainsi l’homme

  1. Le mauvais exemple donné par un prince immoral ou stupide est très-funeste, parce que le prince est un personnage fort en évidence, parce que son autorité appuie ses exemples, et que ses principes sont professés par ses courtisans, les courtisans de ses courtisans, etc.