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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VII.

qui, par son incurie et sa paresse, est tombé dans la misère, après avoir épuisé ses capitaux, est-il fondé à réclamer des secours, lorsque ses fautes mêmes privent de leurs ressources les hommes dont ses capitaux alimentaient l’industrie ?

Cette question au surplus, n’est pas de mon sujet. Je ne dois examiner ici que les intérêts du corps social et non les sentimens de compassion qui peuvent s’y joindre, et que je suis loin de condamner. Sous le rapport économique, le devoir du publiciste consiste à comparer les sacrifices que les établissemens de bienfesance coûtent à la société, avec les avantages que la société en retire.

On peut en général regarder les établissemens de bienfesance comme des espèces de caisses de prévoyance, où le contribuable apporte une légère portion de son revenu, pour acquérir le droit d’y avoir recours au besoin. L’homme riche ne suppose guère qu’il soit jamais dans la nécessité d’en faire usage. Il devrait se défier un peu plus du sort. Les faveurs de la fortune ne sont pas une seule et même chose avec notre personne comme sont nos infirmités et nos besoins : notre fortune peut s’évanouir, nos infirmités et nos besoins restent. Il suffit de savoir que ces choses ne sont pas inséparables, pour qu’on doive craindre de les voir séparées. Et, si vous appelez l’expérience au secours du raisonnement, n’avez-vous jamais rencontré des infortunés qui ne s’attendaient pas à le devenir ?

Il serait doux de penser que la société peut soulager toutes les infortunes non méritées. Il n’est malheureusement pas permis de le croire. Il y a des maux qui se multiplient avec le soulagement qu’on leur apporte. Nous avons vu, en observant les phénomènes que présente la population, qu’elle tend toujours à s’accroître au-delà des moyens d’existence qui lui sont offerts ; cet effet a lieu dans tous les états d’avancement de la société. Dès-lors, quelque considérables que soient les secours qu’on accorde à la classe indigente, une partie de cette classe doit toujours se trouver aux prises avec le besoin, surtout dans certains momens critiques. L’Angleterre a subi les fâcheuses conséquences de ses lois sur les pauvres ; elle a vu le nombre des gens ayant besoin de secours, s’accroître à mesure qu’on augmentait les secours qu’on leur accordait[1].

  1. C’est bien injustement que les antagonistes de Malthus lui ont fait un crime de la remarque qu’il en a faite. Il n’était pas en son pouvoir de changer la nature des choses ; c’est au contraire en la fesant bien connaître, qu’on rend praticables les seuls remèdes qu’elle comporte.