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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

La valeur que les hommes attachent aux choses, a son premier fondement dans l’usage qu’ils en peuvent faire. Les unes servent d’alimens, les autres de vêtemens ; d’autres nous défendent de la rigueur du climat, comme les maisons ; d’autres, telles que les ornemens, les embellissemens, satisfont des goûts qui sont une espèce de besoin. Toujours est-il vrai que si les hommes attachent de la valeur à une chose, c’est en raison de ses usages : ce qui n’est bon à rien, ils n’y mettent aucun prix[1].

Cette faculté qu’ont certaines choses de pouvoir satisfaire aux divers besoins des hommes, qu’on me permette de la nommer utilité.

Je dirai que créer des objets qui ont une utilité quelconque, c’est créer des richesses, puisque l’utilité de ces choses est le premier fondement de leur valeur, et que leur valeur est de la richesse[2].

  1. Ce n’est pas ici le lieu d’examiner si la valeur que les hommes attachent à une chose est proportionnée ou non à son utilité réelle. La juste appréciation des choses dépend du jugement, des lumières, des habitudes, des préjugés de ceux qui les apprécient. Une saine morale, des notions précises sur leurs véritables intérêts, conduisent les hommes à une juste appréciation des vrais biens. L’économie politique considère cette appréciation comme un fait, et laisse à la science de l’homme moral et de l’homme en société, le soin de les éclairer et de les diriger sur ce point comme dans les autres actes de la vie.
  2. Le traducteur anglais de cet ouvrage (M. Prinsep) me reproche en cet endroit, et en plusieurs autres, de n’avoir pas fait entrer parmi les élémens de la production des richesses, les difficultés de l’exécution des produits (the difficulties of attainment). Il ne s’aperçoit pas que ce qu’il appelle de ce nom, est la même chose que ce que je nomme plus loin les frais de production ; car ces frais ne sont que le prix qu’il faut payer pour surmonter les difficultés de l’exécution.

    Il est très-vrai que le prix courant d’un produit ne saurait, d’une manière suivie, tomber au-dessous des frais de sa production ; personne alors ne voudrait contribuer à sa création ; mais ce ne sont pas les frais que l’on fait pour le produire, qui déterminent le prix que le consommateur consent à y mettre : c’est uniquement son utilité ; car on aurait beau surmonter d’immenses difficultés pour produire un objet inutile, personne ne consentirait à les payer. Quand vous présentez un vase au devant d’une fontaine, ce ne sont pas les bords du vase qui amènent l’eau dont il se remplit, quoique que ce soient les bords du vase qui empêchent le niveau du liquide de baisser au-dessous d’une certaine hauteur.

    On verra plus tard que c’est la même fausse conception de l’origine des valeurs, qui sert de fondement à la doctrine de David Ricardo sur le revenu des terres (the rent of land). Il prétend que ce sont les frais qu’on est obligé de faire pour cultiver les plus mauvaises terres, qui font qu’on paie un fermage pour les meilleures, tandis que ce sont les besoins de la société qui font naître la demande des produits agricoles et en élèvent le prix assez haut pour que les fermiers trouvent du profit à payer au propriétaire le droit de cultiver sa terre.