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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

main-d’œuvre, n’est-il pas ordinairement le résultat de l’action de l’acier dont les propriétés sont un don de la nature, s’exerçant sur une matière quelconque, autre don de la nature ?

C’est pour avoir méconnu ce principe, que les économistes du dix-huitième siècle, qui comptaient parmi eux des écrivains d’ailleurs très-éclairés, sont tombés dans de graves erreurs. Ils n’accordaient le nom de productive qu’à cette industrie qui nous procure de nouvelles matières, à l’industrie de l’agriculteur, du pêcheur, du mineur. Ils ne faisaient pas attention que ces matières ne sont des richesses qu’en raison de leur valeur, car de la matière sans valeur n’est pas richesse ; témoin l’eau, les cailloux, la poussière. Or, si c’est uniquement la valeur de la matière qui fait la richesse, il n’est nullement nécessaire de tirer de nouvelles matières du sein de la nature, pour créer de nouvelles richesses ; il suffit de donner une nouvelle valeur aux matières qu’on a déjà, comme lorsque l’on transforme de la laine en drap.

À cet argument, les économistes répliquaient que la valeur additionnelle répandue sur un produit par un manufacturier ou ses ouvriers, est balancée par la valeur que ce manufacturier a consommée pendant sa fabrication. Ils disaient que la concurrence des manufacturiers entre eux ne leur permet pas d’élever leur prix au-delà de ce qui est nécessaire pour les indemniser de leurs propres consommations ; et qu’ainsi leurs besoins détruisant d’un côté ce que leur travail produit de l’autre, il ne résulte de ce travail aucun accroissement de richesses pour la société[1].

  1. Mercier de La Rivière (Ordre naturel des Sociétés politiques, tome II, page 255), cherchant à prouver que le travail des manufactures est stérile, non productif, fait un argument que je crois utile de repousser, parce qu’il a été reproduit sous différentes formes, quelquefois assez spécieuses. Il dit que si l’on prend pour des réalités les faux produits de l’industrie, on doit, pour être conséquent, multiplier inutilement la main-d’œuvre pour multiplier les richesses. Mais, de ce que la main-d’œuvre produit une valeur quand elle a un résultat utile, il ne s’ensuit pas qu’elle produise une valeur quand elle a un résultat inutile ou nuisible. Tout travail n’est pas productif ; il ne l’est que lorsqu’il ajoute une valeur réelle à une chose quelconque ; et ce qui prouve encore mieux combien ce raisonnement des Économistes d’alors est vide de sens, c’est qu’il peut être employé contre leur propre système, tout aussi bien que contre le système opposé. Il suffirait de leur dire : « Vous convenez que l’industrie du cultivateur est productive ; il n’a donc qu’à labourer ses terres dix fois par an, et les ensemencer aussi souvent, pour décupler leurs produits ; » ce qui est absurde.