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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE II.

ment ce qui, selon les économistes, enrichit le plus une nation ; et cependant elle reste pauvre et dépeuplé. C’est parce qu’elle borne son industrie à l’agriculture, tandis qu’elle devrait être en même temps manufacturière et commerçante : elle ne salarie pas la Hollande ; elle serait plutôt salariée par elle pour fabriquer, si je peux m’exprimer ainsi, chaque année pour 10 millions de blé. Elle n’est pas moins dépendante que les nations qui lui achètent son blé ; car elle a autant besoin de le vendre que ces nations ont besoin de l’acheter[1].

Enfin, il n’est pas vrai que Colbert ait ruiné la France. Il est de fait, au contraire, que, sous l’administration de Colbert, la France sortit de la misère où l’avaient plongée deux régences et un mauvais règne. Elle fut, à la vérité, ensuite ruinée de nouveau ; mais c’est au faste et aux guerres de Louis XIV qu’il faut imputer ce malheur, et les dépenses mêmes de ce prince prouvent l’étendue des ressources que Colbert lui avait procurées. Elles auraient, à la vérité, été plus grandes encore, s’il eût protégé l’agriculture autant que les autres industries.

On voit que les moyens d’étendre et d’accroître ses richesses sont, pour chaque nation, bien moins bornés que ne l’imaginaient les économistes. Une nation, selon eux, ne pouvait produire annuellement d’autres valeurs que le produit net de ses terres, et il fallait que là-dedans se trouvassent, non-seulement l’entretien des propriétaires et des oisifs, mais celui des négocians, des manufacturiers, des artisans, et les consommations du gouvernement ; tandis qu’on vient de voir que le produit annuel d’une nation se compose non-seulement du produit net de son agriculture, mais du produit brut de son agriculture, de ses manufactures et de son commerce réunis. N’a-t-elle pas, en effet, à consommer la valeur totale, c’est-à-dire, la valeur brute de tout ce qu’elle a produit ? Une valeur produite en est-elle moins une richesse parce qu’elle doit être nécessairement consommée ? Sa valeur ne vient-elle même pas de ce qu’elle doit être consommée[2] ?

L’anglais Steuart, qu’on peut regarder comme le principal écrivain du système exclusif, du système qui suppose que les uns ne s’enrichissent que de ce que les autres perdent, Steuart ne s’est pas moins mépris de

  1. On verra plus tard que si une nation devait passer pour être salariée par une autre, ce serait la plus dépendante ; et que la plus dépendante n’est pas celle qui manque de terres, mais celle qui manque de capitaux.
  2. Voyez l’Épitome qui termine cet ouvrage, au mot Produit net.