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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE IV.

huitième siècle, qui prétendaient au contraire que le travail ne produit aucune valeur sans consommer une valeur équivalente ; que, par conséquent, il ne laisse aucun excédant, aucun produit net, et que la terre seule, fournissant gratuitement une valeur, peut seule donner un produit net. Il y a du système dans l’une et l’autre thèse ; je ne le fais remarquer que pour qu’on se mette en garde contre les conséquences dangereuses qu’on peut tirer d’une première erreur[1], et pour ramener la science à la simple observation des faits. Or, les faits nous montrent que les valeurs produites sont dues à l’action et au concours de l’industrie, des capitaux[2] et des agens naturels, dont le principal, mais non pas le seul à beaucoup près, est la terre cultivable, et que nulle autre que ces trois sources ne produit une valeur, une richesse nouvelle.

Parmi les agens naturels, les uns sont susceptibles d’appropriation,

  1. On sait qu’entre autres conséquences dangereuses que les Économistes ont tirées de leurs systèmes, est la convenance de remplacer tous les impôts par un impôt unique sur les terres, assurés qu’ils étaient que cet impôt atteindrait toutes les valeurs produites. Par un motif contraire, et en conséquence de cette partie systématique de Smith, on pourrait, et tout aussi injustement, décharger de toute contribution les profits des fonds de terre et des capitaux, dans la persuasion qu’ils ne contribuent en rien à la production de la valeur.
  2. Quoique Smith ait reconnu le pouvoir productif des fonds de terre, il a méconnu celui des valeurs capitales, qui cependant leur sont parfaitement analogues. Une machine, telle, par exemple, qu’un moulin à huile dans lequel on a employé une valeur capitale de 20,000 francs, et qui donne un produit net de 1,000 francs par an, tous les autres frais payés, donne un produit précisément aussi réel que celui d’une terre de 20,000 francs qui donne 1,000 francs de produit net ou de fermage, tous frais payés. Smith prétend qu’un moulin de 20,000 francs représente un travail de 20,000 francs répandu à diverses époques sur les pièces dont se compose le moulin ; et que, par conséquent, le produit annuel du moulin est le produit de ce travail antérieur. Smith se trompe : le produit de ce travail antérieur est la valeur du moulin lui-même, si l’on veut ; mais la valeur journellement produite par le moulin, est une autre valeur entièrement nouvelle, de même que le fermage d’une terre est une valeur autre que celle de la terre, une valeur qu’on peut consommer sans altérer celle du fonds. Si un capital n’avait pas en lui-même une faculté productive indépendante de celle du travail qui l’a créé, comment se pourrait-il faire qu’un capital pût fournir un revenu à perpétuité, indépendamment du profit de l’industrie qui l’emploie ? Le travail qui a créé le capital recevrait donc un salaire après qu’il a cessé ; il aurait une valeur infinie ; ce qui est absurde. On s’apercevra plus tard que toutes ces idées ne sont pas de simple spéculation.