Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
90
LIVRE PREMIER. — CHAPITRE VII.

ne prenait la peine d’y réfléchir, que la charrue, la herse et d’autres semblables machines, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, ont puissamment concouru à procurer à l’homme une grande partie, non-seulement des nécessités de la vie, mais même des superfluités dont il jouit maintenant, et dont probablement, sans ces instrumens, il n’aurait jamais seulement conçu l’idée. Cependant, si les diverses façons que réclame le sol ne pouvaient se donner que par le moyen de la bêche, de la houe et d’autres instrumens aussi peu expéditifs ; si nous ne pouvions faire concourir à ce travail des animaux qui, considérés en économie politique, sont des espèces de machines, il est probable qu’il faudrait employer, pour obtenir les denrées alimentaires qui soutiennent notre population actuelle, la totalité des bras qui s’appliquent actuellement aux arts industriels. La charrue a donc permis à un certain nombre de personnes de se livrer aux arts, même les plus futiles, et, ce qui vaut mieux, à la culture des facultés de l’esprit.

Les anciens ne connaissaient pas les moulins : de leur temps c’étaient des hommes qui broyaient le froment dont on fesait le pain ; on estime que la chute d’eau qui fait aller un moulin, équivaut à la force de cent cinquante hommes. Or, les cent cinquante hommes que les anciens étaient forcés d’employer de plus que nous, en place de chacun de nos moulins[1], peuvent de nos jours trouver à subsister comme autrefois, puisque le moulin n’a pas diminué les produits de la société ; et en même temps leur industrie peut s’appliquer à créer d’autres produits qu’elle donne en échange du produit du moulin, et multiplie ainsi la masse des richesses[2].

  1. On voit, au vingtième chant de l’Odyssée, que douze femmes étaient journellement occupées à moudre le grain nécessaire à la consommation du palais d’Ulysse, et ce palais n’est pas représenté comme étant plus considérable que la maison d’un particulier opulent de nos jours.
  2. Depuis la troisième édition de cet ouvrage, M. de Sismondi a publié un livre intitulé : Nouveaux principes d’Économie politique, dans lequel il insiste (liv. VII, ch. 7) sur les inconvéniens que présente l’introduction des machines qui suppléent au travail de l’homme. Cet estimable écrivain, trop frappé des inconvénients passagers, méconnait les avantages durables des machines, et semble même être demeuré étranger aux principes d’économie politique qui établissent ces mêmes avantages d’une manière rigoureuse. Voyez l’Épitome qui suit cet ouvrage, aux mots : Frais de production, Revenus, Richesses.