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des tribunaux spéciaux, alléguant les lenteurs de notre procédure. La critique est fondée, mais la correction peut être faite sans que l’on change la juridiction  : nous n’avons que trop de tribunaux d’exception et une meilleure organisation de la procédure doit profiter à tous les plaideurs et non aux seuls ouvriers blessés. Les autres novateurs veulent un changement plus grand et demandent qu’en tous cas le patron soit présumé en faute et tenu, s’il ne veut être responsable, de prouver qu’il n’est pas coupable. Système fort injuste, car c’est exiger des patrons une preuve négative qui, en fait, est presque impossible  ; c’est, en effet, l’obliger à réparer un dommage dont le plus souvent il n’est pas la cause.

Ce mode de responsabilité des patrons a cependant été introduit dans les lois d’un petit pays, mais fort industriel  : la Suisse. Il est écrit dans la loi fédérale du 23 mars 1877 sur les fabriques, mais ne s’applique toutefois qu’à certaines industries. Malgré cela, il n’a cessé de soulever de très vives réclamations, à ce point qu’une grande association d’industriels, l’Union suisse du commerce et de l’industrie, disait de lui : « L’aggravation de la législation actuelle sur la responsabilité semble faite pour chasser les fabriques de notre pays. » Quant aux ouvriers, ils en ont immédiatement senti les effets parce que les patrons ont congédié ceux qui, étant plus faibles ou moins habiles, se trouvaient exposés surtout à être victimes par inaptitude ou maladresse de leur part. Si bien que ce système imaginé, disait-on, dans l’intérêt des ouvriers, a eu pour premier effet d’ôter leurs moyens d’existence aux plus intéressants d’entre eux.

La loi, d’ailleurs, fonctionne mal, souvent éludée par les intéressés avec la connivence des autorités locales et blâmée même par les purs théoriciens qui lui reprochent de s’appliquer à une partie seulement des ateliers et d’être par suite inégale. Les difficultés qu’elles soulève ne font pas prévoir qu’elle doive être étendue et le système, après avoir été fort en faveur, même hors de Suisse, n’a plus guère de partisans  ; un autre système a pour lui la vogue, c’est le système de l’assurance obligatoire.

3. L’assurance obligatoire.

Ses partisans y voient une solution de toutes les difficultés pratiques qui rendent si ardue cette question des accidents du travail. Ne recherchons plus, disent-ils, à qui peut incomber la faute  ; il est difficile de le constater et d’en faire la preuve  ; d’ailleurs la plus grande partie des accidents est due à des cas fortuits. Considérons qu’une réparation est due à l’ouvrier blessé et on ajoute d’ordinaire, admettons qu’elle doit être à la charge non de tel ou tel patron qui peut-être n’y saurait suffire, mais de tous ceux du métier ; tenons les indemnités dues pour une charge de l’industrie entière dont ainsi chaque patron supportera sa part, part proportionnée à l’importance de sa maison. Quant au blessé, il aura droit à une indemnité fixe en rapport à la fois avec le dommage souffert et avec son salaire, mais connue d’avance. Ainsi les procès sont évités et avec eux les surprises qu’amènent souvent les décisions judiciaires  ; l’ouvrier n’a plus à attendre un long temps, il est secouru de suite. Tous ces avantages sont obtenus en appliquant seulement le principe de l’assurance, mais en l’appliquant forcément.

Ce régime est appliqué en Allemagne depuis douze ans, en Autriche et depuis peu en Danemark. C’est l’exemple de l’Allemagne qui est le plus souvent cité et qui est aussi le plus fort  : cherchons donc ce que ce régime a produit en Allemagne. Nous trouvons les derniers chiffres parus dans une publication de notre Office du travail (sorte de bureau de statistique établi au ministère du commerce) qui a pour titre  : Étude sur les derniers résultats des assurances sociales en Allemagne et en Autriche  : accidents, paru en décembre 1894).

A. L’assurance obligatoire en Allemagne. — Elle a été organisée par la loi du juillet 1884, dont le mécanisme a été exposé en détail (V. État-Assurances). Rappelons-en sommairement le contexte. Tous les chefs d’industrie, et on entend par là tous ceux qui occupent même un seul salarié, sont tenus de faire partie de la « Corporation » du métier. Ces corporations sont des associations comprenant les patrons d’une même profession ou de professions similaires exerçant dans tout l’empire ou dans une partie seulement de l’empire ; les corporations ont pu, au début, se former à leur guise, mais le pouvoir public a érigé d’autorité en corporations ceux qui ne s’étaient pas groupés d’eux-mêmes.

Dès qu’un accident survient dans le métier et occasionne une incapacité de travail de plus de treize semaines, le bureau de la corporation détermine d’après la taxe légale quels sont les droits du blessé et les règle. Celui-ci peut former appel devant des tribunaux spéciaux dits tribunaux arbitraux composés d’ouvriers et de patrons en nombre égal présidés par un fonctionnaire et en quelques cas devant l’Office central siégeant à Berlin. Les sommes dues, ainsi que les frais généraux, sont répartis chaque année entre les patrons