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LE CHRÉTIENNE


ioO — ÉCOLE CHRÉTIENNE


subsister aucune société humaine étendue  ; après avoir condamné le principe même, elle ne prétendait plus qu’à réprimer les ex- cès auxquels l’égoïsme humain se laisse volontiers entraîner. Mais où Unissait rusaye permis ? où commençait l’abus ? Délcrininer leur ligne de démarcation, telle est la tâche délicate que le droit canon s’est imposée au moyen âge et qu’il s’est efforcé d’accomplir au milieu de conditions dont il importe de nous rendre compte.

On sait qu’on donne le nom de Corps de droit canon {Corpus juris Canonici) à une vaste compilation de lois, de décrets et d’opi- nions ecclésiastiques ayant pour fondement un premier recueil rassemblé vers l’an HÎJO par un moine de fJologne du nom de Gratien. Le Decretum Gratiani s’était d’abord appelé la Concordantia disco7’dantium Canomnn, Par la suite on y engloba en 1234 les DérréUdcs de Grégoire IX, en 1 298 sous Boniface VllI le Liber sextus, et en 1317, sous Jean XXII, les Clcmentinx. En d  :)82 le pape Grégoire XIII conféra une autorité égale à des compilations postérieures connues sous la désignation d’Extravagantes Joannis XXII et d’Extrava- gantes communes. A l’ensemble de ce groupe, doivent se rattacher les parties de la Somme théologique [Quœstiones LXXVII et LXXVlll secunda secundœ) de saint Thomas d’Aquin, étudiant vers le milieu du treizième siècle la validité des contrats de vente et d’achat et du prêt à intérêt.

Les Pères de FÉglise avaient écrit à laveille de l’efTondrement de la civilisation antique  ; pourtant des échanges incessants s’opéraient encore entre les différentes parties de l’empire, la vie économique était encore en pleine activité. Du cinquième au treizième siècle, s’étend au contraire une période plusieurs fois séculaire de marasme économique  ; sauf les bandes de conquérants germaniques, tous vivaient péniblement au jour le jour du pro- duit de maigres récoltes et de troupeaux d’un bétail chétif disputé aux envahisseurs. C’est par excellence le temps de ce que les éco- nomistes allemands ont appelé la ?latural- wirthscliaft^ c’est-à-dire de la consommation au lieu de production et des échanges en nature, des services et des choses  ; encore ces échanges n’étaient-ils possibles que dans un rayon des plus restreints. Aux mains d’une population clairsemée, la monnaie raréfiée a l’extrême avait cessé d’être un instrument de circulation journahère pour devenir un instrument de conservation de quelques minces ressources épargnées à grand’peine en \’ue de calamités toujours imminentes. La sécurité était si précaire que les proprié- taires d’alleux, autrement dit les proprié-


taires libres, préféraient se dépouiller de leur indépendance et de la plénitude de leur droit de propriété pour se contenter d’un simple droit d’usage grevé en sus de rede- vances et se mettre dans la mouvance et sous la protection de maîtres laïques ou ecclésias- tiques puissants. Tout concourait donc à affermir l’adhésion populaire à la méfiance que les Pères de l’E^glise primitive avaient nourrie à l’endroit de la poursuite de la ri- chesse  ; cette méfiance trouvait des inter- prètes naturels et convaincus parmi les moines écrivant au fond de leurs cloîtres ou se livrant à la prédication chrétienne. Toute- fois, malgré leur préférence non déguisée pour la possession en commun, ceux-ci n’allèrent pas jusqu’à rejeter le droit de pro- priété privée et s’en tinrent à son acceptation à titre d’institution légitimée par la volonté du prince. L’opinion de saint Augustin que nous avons déjà citée, fut insérée dans le Corpusjiiris Canonici. Mais si les auteurs de ce recueil permettent de posséder des biens, le commerce leur inspire une insurmontable appréhension. Ils évoquent Jésus chassant les vendeurs du temple  ; ils professent qu’il est difficile d’écarter le péché de l’acte d’achat et de vente  ; ils estiment qu’il est naturel aux parties en présence de chercher à se tromper  ; ils vont même jusqu’à dire « qu’il est à peu près impossible au marchand de plaire à Dieu, car comment pourrait-on vendre et acheter sans avoir recours au men- songe et au parjure ? )> Saint Thomas d’Aquin, plus large, reconnaît que la poursuite d’un gain n’est pas en soi chose illicite  : une fin honnête ou nécessaire suffit à la justifier. Telle sera la fin d’assurer la subsistance de sa fa- mille, de secourir les pauvres, de contribuer à l’utilité publique  : dans ces cas, le gain {lucrwn) devient un quasi-salaire {quasi sti- pcndium). Saint Thomas va même jusqu’à accorder des latitudes pour le moins inat- tendues en matière de vices de la chose vendue. Saint Ambroise avait imposé au ven- deur l’obligation de les déclarer tous sans exception. Saint Thomas distingue entre les vices apparents et les vices cachés. Pour les premiers, par exemple celui d’un cheval n’ayant qu’un œil, le vendeur n’est pas tenu de les révéler, car l’acheteur en pi’ofiterait peut-être pour exiger une réduction de prix au delà de ce qui est juste. Il peut même garder le silence pour les seconds, à la con- dition expresse que son silence ne soit pas une cause de préjudice pour l’acheteur. Du reste toute cette matière est dominée par la conception du juste prix déjà formulée par saint Augustin  ; restée en honneur pendant tout le moyen âge, elle découle de la concep-


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