Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/192

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


corporatifs, et non pas de lutter contre le gouvernement.

L’État ainsi conçu est un être rationnel, une personne. Et son existence est toujours légitime, puisqu’elle est rationnelle. Fût-elle réalisée par la force, il n’y aurai t point à y redire. Le crime même n’est pas un mal, s’il s’agit de créer l’État. Machiavel, dont Hegel fait l’éloge dans tous ses ouvrages, l’a bien vu  ; et Napoléon l’amontré. L’origine de l’État n’importe pas  : il faut qu’il soit.

L’État, personne juridique, manifeste sa personnalité par la prise de possession de ses moyens d’existence, au nombre desquels il faut tout d’abord compter son territoire. Il faut donc qu’il soit doué d’un corps et d’une force physique, comme toute personne  : cette force, agent aveugle de la volonté to- tale, c’est Fm-mée. L’armée assure l’autonomie de l’État. Le droit d’un État à l’existence consiste uniquement dans son pouvoir d’as- surer son autonomie. Les conflits juridiques entre peuples se résolvent par la guerre et c’est une solution légitime. On a agité des projets de paix perpétuelle, d’arbitrage international. Mais il n’y a d’arbitrage pos- sible que dans un État unique  : et dire qu’il ne doit plus y avoir de guerre, c’est dire que la terre ne doit appartenir qu’à une seule nation. Si, au contraire, plusieurs na- tions ont le droit d’exister simultanément, il faut considérer la guerre comme inévitable.

Les succès militaires d’une nation prou- vent ses droits. L’exemple de Napoléon est encore ici de mise. Mais il y a un esprit universel où se confond l’existence de tous les États et devant lequel comparaissent, comme devant un juge, toutes les nations. Cet esprit existe dans le temps, et non dans l’espace. Ses arrêts se manifestent par l’avénc- ment et par la destruction des peuples. Le véritable tribunal des nations, c’est l’his- toire, qui réalise toute liberté.

Cette doctrine sociale a été donnée par beaucoup de personnes pour une glorification du régime monarchique de la Prusse et de l’esprit prussien  ; par d’autres, pour un essai de restauration de l’Etat antique. La première de ces appréciations est fausse, parce que Hegel a professé la doctrine de la monarchie et du militarisme dès l’époque de son séjour à Francfort. Elle apparaît plutôt comme une justification du régime napoléonien, auquel Hegel voudrait adjoindre des fragments de la constitution anglaise. Avant tout elle est une critique de la constitution du Saint-Empire Allemand. Et par là, de même que par une réaction contre les idées républicaines, elle dut ne pas déplaire au ministère Altenstein. Mais quand Hegel fit adhésion entière aux idées prussiennes (en 1831), il dut abandonner quelques-unes des opinions qu’il avait professées toute sa vie.

Sa doctrine n’est pas non plus identique à la conception de l’État antique. Elle en diffère comme tout son système dilfère des systèmes de Platon et d’Aristo te, et Hegol a critiqué vivement dans ses cours de philosophie de l’histoire, les constitutions de la Grèce et de Rome. Il désapprouvait en elles la subordination complète des individus à l’État et l’organisation démocratique de cet État. 11 en pouvait reconnaître la légitimité historique, mais non pas y adhérer. Il faut voir dans la doctrine sociale de Hegel, non pas une œuvre d’imitation, mais une œuvre originale et d’inspiration toute moderne. Et elle est non pas seulement la justification d’un état de choses donné, mais la justification de tout ce qui a pu être. En justifiant quelques constitutions récentes, il a paru y faire adhésion. On ne prend pas garde qu’il les tient, elles aussi, pour passagères.

3. Influence de Hegel.

L’influence des doctrines sociales de Hegel s’est exercée surtout dans le domaine du droit et de l’économie politique. Et son école s’est scindée, ici comme ailleurs, en droite et en gauche hégélienne. Le hégélianisme qui fut un essai de synthèse entre l’idée et le fait, et entre l’unité et la multiplicité, se décomposa en deux théories distinctes  : l’une professant un idéalisme unitaire et conservateur  ; l’autre, un empirisme démocratique et révolutionnaire.

1. Droite hégélienne. — Le juriste le plus éminent de la droite hégélienne et le plus fidèle à la pensée du maître, fut Edouard Gans. 11 appliqua les principes généraux de Hegel à des recherches de détail. L’histoire entière du droit lui parut justifier la construction logique de Hegel. Son ouvrage intitulé  : Bas. Erbrecht in loeltgeschichtUclier Entivicke- luntj (4 vol. 1824-35) et son Sijstem des Rômischen Cirihechts (1827) furent le plus vigoureux effort de l’école hégélienne en matière juridique. Cette école trouva pour la contredire l’école historique, représentée surtout par Hugo et Savigny. Hegel déjà les combattit  : mais la discussion dégénéra en vive querelle à propos d’un livre de Savigny  : Das liccht des Besit  : :es (G" édition, 1837), qui mit en question les fondements mêmes du droit de propriété. La propriété diffère de la simple possession, selon le hégélien Gans, comme le droit diffère du fait, c’est-à-dire comme la volonté générale diffère du vouloir particulier. Toutefois, comme la volonté, même particulière, est juridiquement respectable,