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ANARCHIE


Sous !e régime du collectivisme socialiste de Marx, chacun travaille forcément et oht\er\l une léniunération proportionnelle aux heures de travail fournies ]iar lui  ; il est rétribué selon st’s o-uvrcs. Sous le régime du commu- nisme anarchiste de Kropotkine ’, chacun travaille librement, et au lieu de recevoir en écliar)ge une ration de caserne, déterminée par un bon de travail, il prenddans letask sa guise selon ses besoins, et il emporte chez lui ses provisions. Point do phalanstère, point de marmite sociale, mais des cuisines sépa- rées.

Comprenons cela : Kropotkine va nous l’ex- pliquer. C’est bien simple. La révolution éclate. Le premier danger dont il faut se gardei’, danger immense qui jusqu’à présent a empêché toute révolution d’aboutir, c’est d’établir un gouvernement révolutionnaire qui n’aurait rien de plus pressé que de con- fisquer le pouvoir à son profit. Ainsi donc Kropotkine prend au sérieux la plaisanterie de 1848  : Rien n’existe plus  ; personne n’est charge de l’exécution du présent décret, signé Hiéant. Personne ou plutôt tout le monde. Il faut que l’immense transformation écono- mique s’opère par le travail collectif des masses, par le consentement général. Le peuple révolté prend possession des dépôts de blé, des magasins qui regorgent, des vêtements, des maisons habitables. 11 n’y aura ni querelles, ni gaspillage. « Dans le partage des logements, on fera appel aux bons instincts des masses. » Pour ce qui est toutefois de l’expropriation du sol, Kropot- kine laisse provisoirement au paysan le lopin de terre qu’il cultive, afin de ne pas l’épouvanter. Il comprendra plus tard de lui- même, l’avantage du communisme. Partout des groupes libres de production s’organisent spontanément, font face à toutes les néces- sités, satisfont tous les besoins. On revient à la forme primitive d’échange en nature entre groupes qui produisent différents objets, entre villes et campagnes. On produit non

1. Nous prenons comme exemple le système de Kropotkine parce qu’il est le plus récent {La conquête du pain, i89i). En réiilité, il v a sur ce point anarchie dans les systèmes anarchistes. Most ditVôre de Kropotkine. Il méprise Proudhon. mais lui fait plus d un emprunt. Le sol et le capital appar- tiennent ù l’ensemble du peuple, mais sont mis à la disposi- tion des producteurs indépendants, avec libre-échange des produits, selon la mesure du travail employé. 11 y aura des fonctionnaires pour faire des recherches de statistique et empêcher la surproduction, — des bureaux d’experts, pour taxer la quantité de chaque marchandise et reconstituer les prix, réglés non par la loi de l’ollre et de la demande, mais par la quantité de travail employé pour la fabrication. S’il y a difûculté, abus, monopole, on revient à la volonté de la majorité à laquelle on doit se soumettre. — Dès lors nous retombons dans la réglementation. Nous ne jouissons plus des bienfaits de l’anarchie. iVoir Adler, Bandwôrterbuch der Staalswissensc/iaften, art. .Vsabchib.)


en vue de procurer des bénéfices à qui que ce soit, mais pour faire vivre la société. II n’y a jamais surproduction quand on prend pour point de départ les besoins de l’individu. I)ans la société actuelle, quand les magasins sont remplis et qu’on est obligé d’arrêter les machines, les ouvriers manquent de tout. Si on les laissait puiser dans la masse d’après leurs besoins et consommer à leur gré cet excès de richesses qu’ils ont produites, il n’y aurait jamais de crises industrielles. Et c’est ce qu’ils feront en anarchie. Il n’y aura de rationnement que pour ce qui ne sera pas en abondance, et cela en faveur des enfants et des vieillards, et tout le monde y consentira, par bon cœur, sans qu’il soit besoin de l’in- tervention d’une autorité quelconque.

Ainsi chacun travaille et jouit à sa conve- nance. Nul n’est obligé de travailler, et pourtant il y aura production zélée de trésors où chacun viendra puiser à pleines mains. Comment concilier cela ? — Tout individu, d’après Kropotkine, devra une part contribu- tive à la production générale, environ quatre à cinq heures de travail par jour, jusqu’à quarante-cinq ou cinquante ans. Et s’il ne veut pas la payer’? — D’abord ce sera très rare. Dans une société où chacun sera libre, il n’y aura pas à craindre les fainéants. C’est un iabeur salarié qui est un labeur de serf. Désormais on aura le stimulant du bien- être, et le travail, au lieu d’être abrutissant, deviendra attrayant. Chacun choisira sa tâche, l’auteur composera ses livres, l’as- tronome, ses instruments d’optique. Les travaux ennuyeux, répugnants, laver la vais- selle, cirer les bottes, seront accomplis par des machines, comme cela se pratique aux États-Unis. S’il y a quelques paresseux, le groupe les priera d’aller ailleurs, ou leur dira  : Vivez comme des isolés, comme des malades. Il y aura bien quelques injustices ; Kropotkine nous fait cette concession. Mais elles seront limitées.

Si l’on objecte à tous ces rêves qu’aucune forme de coopération ne peut être établie sans règlement, sans soumission aux agents régulateurs, auxquels il faut obéir sous peine de confusion et d’insuccès, et que les anarchistes qui répugnent à toutes sortes d’autorité, d’État, seraient obligés d’avoir re- cours à des institutions analogues, — ils vous répondent avec Proudhon, avec Kropotkine, que l’homme deviendra par l’anarchie non seulement libre, mais intelligent, juste et bon, remplacera la contrainte par le consen- tement volontaire  ; car l’anarchie est non seulement organisatrice, mais moralisatrice de sa nature ; et Kropotkine nous le dé- montre.


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