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là où il y a des villac ;cs, il y a des rois. Les rares tribus qui n’ont pas de rois, mais seu- lement des juges et des chefs pris parmi le peuple, sont celles qui habitent des fermes isolées. Les Saxons, parmi lesquels les \Vestphaliens au moins n’ont pas de vil- lages, n’ont que des ducs. Chez les Frisons, les rois jouent un rôle très peu prononcé. Les Trunder, ou les Norvégiens du Nord, Trondelag, n’ont que des jarls, mais pas de rois comme ceux du Sud. L’établissement en villages est une suite d’habitudes acquises par une vie nomade et on dit aussi que cette vie nomade elle-même, avec toutes les querelles inévitables qui l’accompagnent, nécessite absolument un pouvoir royal. Les Svear au nord des grands lacs de la Suède, qui se sont établis relativement tard, avaient aussi un pouvoir royal particulièrement dé- veloppé à côté d’une forte démocratie.

Sous les Carolingiens, il y a partout des maîtres. Tous les paysans sont les subor- donnés de quelqu’un. L’Église devient pro- priétaire d’un tiers des terres de la France. La lutte avec les Arabes démontre à Charles Martel la nécessité d’une cavalerie, et dans les expéditions lointaines de Charlemagne lui-même, il devient d’une impossibilité absolue d’employer la masse des paysans  ; il faut que ceux qui partent soient des guerriers payés et aidés par les autres. Le développement particulier de l’aristocratie chez les Gaulois avait nécessairement depuis la conquête germanique exercé une grande influence et des Gallo-Romains se trouvaient parmi les serviteurs les plus utiles des rois. L’organisation qui s’était développée en France après la conquête fut aussi introduite chez les Franks et chez les autres nations qui vivaientsous le régime du droit frank en Allemagne  : Alamaus , Bavarois, Thuringiens, et Chattes ou Hessois. Seuls les Saxons gai- dèrent en partie leur organisation nationale.

Il y a, déjà depuis le commencement de l’organisation franque, un curieux mé- lange de pouvoir et de dépendance publique et privée. Les anciens nobles de naissance se retirent ou se changent en nobles de service, dont la condition participe à la fois et des droits publics et des droits privés. Les personnes qui servent le roi sur ses fermes domaniales, et qui ordinairement sont plutôt de basse naissance que de noblesse, sont en même temps les administrateurs de ses propriétés et les receveurs des redevances l)ubliques  ; et de même en ce qui concerne ceux qui paient, il n’y a, déjà à cette époque, que peu de différence dans le fait de payer au roi envisagé comme propriétaire ou comme prince.


RURALES (CLASSES)

Cette situation, fondamentale pour tout le développement du moyen âge, on la voit aussi, sous quelques rai)porls, le plus clai- rement là où le nouvel ordre se produit le plus tard, dans le Nord Scandinave et spé- cialement dans la Norvège, pour laquelle nous avons les récits des sagas islandais. Alors que, dans la dernière partie du ix’= siècle, d’après les exemples du Danemark et de la Suède, Harald Haarfager, ou aux beaux cheveux, forme les populations habi- tant" la route vers le Nord», la Norvège, en royaume, les paysans, Bôndcr, regardaient partout leur soumission et les impositions du roi comme identiques à la perte de leur droit de propriété, leur Odel, et, parfois, déjà le premier roi remplace rigoureusement les chefs par ses fidèles, qui sont souvent de basse naissance. Plus tard, on voit, en Nor- vège, exactement le même développement que dans les royaumes carolingiens  : les Hœlds ou paysans puissants qui habitent des terres qu’ils ont héritées de leurs ancêtres, sont remplacés par les représentants du roi, ses baillifs, les Lfindermen. Lorsque le fils de Harald aux beaux cheveux, Hakon Adelstens- fostre, qui avait reçu son éducation chez le grand roi anglais Athelstane, parait en Nor- vège pour supplanter son frère Erik à la hache sanglante, le bruit « court dans le pays comme le feu sur les herbes sèches » qu’il a rendu leur Odel aux paysans.

La féodalité contient l’idée romaine de domination. La liberté teutoniquc s’y oppose, et l’une des formes de cette opposition se traduit par les efforts qui sont faits pour transformer promptement les offices publics en possessions privées et héréditaires. Le puissant élément aristocratique lui-même est une expression des libertés, de droits privés. Le mot féodalité d’ailleurs est d’ori- gine teutonique  : fcvum, flhii, ancien haut allemand, signifie bétail, Vieh en allemand moderne, et devient l’expression qui indique la richesse mobilière, comme chattet en anglais qui n’est que le mot cdttle ou <( bétail » écrit d’une autre manière. Le mot Fft’ signifie encore aujourd’hui, en Scan- dinave, « bétail », et Ligfjendefœ, bétail « couchant », signifie richesse mobilière. Le feodum, c’est la possession temporaire, le beneficium, opposé à ra//odmm, l’alleu, la pro- priété foncière complète. L’ancienne idée teutonique se maintient dans sa plus grande pureté en Islande, où la société est une fé- dération d’hommes libres qui ne reconnais- sent aucun maître, payent tout au plus de minimes redevances au chef possesseur du temple dédié à leurs divinités païennes, et, dans le cas où ils restent chez eux, à ceux qui


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