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NATIONAUX


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BIENS NATIONAUX


BIENS NATIONAUX.

SOMMAIRE

T. CE QUE L’ON ENTEND PAR BIENS NATIO- NAUX. II DE QUOI SE COMPOSÈRENT LES BIENS NATIONAUX.

1. Des biens du clergé.

2. Des biens des associations privées et des éta-

blissements charitables.

3. Des biens des émigrés et des condamnés.

m. QUEL EMPLOI REÇURENT LES BIENS NA- TIONAUX. IV. LES RÉSULTATS.

I. CE QUE L’ON ENTEND PAR BIENS NATIONAUX.

A prendre ce mot strictement on devrait entendre par là les biens qui sont propriété nationale, c’est-à-dire pour parler comme on fait d’habitude les biens de l’État. Mais l’usage leur a donné un sens tout spécial. On désigne ainsi les biens immeubles ou meubles qui, pendant le cours de la Révolu- tion française, ont été, par une série de dé- cisions législatives, enlevés à leurs proprié- taires, particuliers ou corporations, et attri- bués à l’État ou, comme on disait alors à la natiou ; d’où leur titre de biens nationaux. Quelle était l’étendue et la nature de ces biens? Pour quelle raison les a-t-on saisis et qu’en a-t-on fait? Quel a été le résultat de cette spoliation unique dans l’histoire, car si l’on a vu des peuples conquis dépouillés par les vainqueurs, on n’avait jamais vu tant de particuliers ou d’associations dépossédés par le gouvernement de leur pays ? Ce sont autant de questions qui méritent d’être con- sidérées un instant par des économistes.

II. DE QUOI SE COMPOSÈRENT LES BIENS NATIONAUX.

1. Des biens du clergé.

11 n’y avait pas, en France, avant 1789, de budget des cultes. Il était pourvu aux besoins du culte et à l’entretien du clergé partie par la dime (dans les campagnes seulement) et partie par le revenu de capitaux provenant des libéralités faites par les fidèles pendant une longue suite de siècles.

Ces biens dits de mainmorte (Voy. ce mot) servaient aussi à procurer l’enseignement et l’assistance dans une mesure très large.

Encore que le clergé de France formât un groupe ou comme on disait alors un ordre dans la nation, les biens qui avaient la desti- nation qu’on vient de marquer n’apparte- naient pas à l’ordre du clergé, mais aux diverses fonctions ecclésiastiques  : cures, évè- chés, séminaires auxquels ils avaient été ■affectés par les donateurs ou bien aux com-


munautés religieuses. Ce que ces biens avaient de commun était d’abord de ne pou- voir être aliénés par les titulaires curés, evèques ou abbés réguliers qui n’en avaient que l’administration et ensuite d’être exemp- tés de quelques impôts directs en échange desquelles les députés du clergé réunis pério- diquement votaient un don gratuit équivalent, malgré son titre, à l’impôt dont ils étaient déchargés, mais que le clergé levait lui- même sur les biens appartenant à ses membres, avantage très sensible à raison de la fâcheuse manière dont étaient alors ré- partis et levés les impôts perçus directement par l’État. Il arriva plus d’une fois que l’État dans le besoin s’adressa à l’ordre du clergé qui lui faisait alors des dons extraordinaires dont il trouvait les fonds au moyen d’emprunts. Son crédit étant bien assis à cause de la fidé- lité avec laquelle il tenait ses engagements, il trouva toujours des prêteurs et à meilleur taux que l’État  ; il sut de plus ne pas abuser de cette commodité. Le montant des intérêts et de l’amortissement était perçu en même temps que le don gratuit. En 1789 l’ordre du clergé devait ainsi, pour dons extraordinaires faits à l’État, 133 millions (dont 46 fournis en deux fois pendant la guerre qui assura l’indépendance des États-Unis d’Amérique) qui devaient être entièrement amortis en 1806. On comprend combien le clergé d’alors se suffisant à lui-même et aidant l’État était indépendant du pouvoir public.

Le 10 octobre 1789, l’Assemblée consti- tuante, qui avait déjà supprimé les dîmes sans rachat, fut saisie d’un projet de loi mettant les biens du clergé à la disposition de la nation, à charge par la nation de pourvoir aux dépenses du culte et à l’entretien de ses ministres. La discussion qui suivit est cu- rieuse, parce qu’elle montre les idées alors dominantes chez les membres de cette assem- blée qui changea tant de choses en France et proclama ces principes dits de 1789, si sou- vent invoqués même de nos jours. Tandis que les adversaires du projet soutenaient qu’il n’était point loisible même aux légis- lateurs de saisir un patrimoine formé de li- béralités privées faites dans un but déterminé et avoué par les lois, les partisans du projet répondaient que la propriété ne vient que de la loi civile et n’a de force et d’étendue qu’autant qu’il plait à cette loi de lui en recon- naître. Cette théorie fut longuement déve- loppée par les juristes de l’Assemblée aux applaudissements de la majorité. Ils décla- rèrent que si les lois anciennes avaient reconnu aux particuliers le droit d’affecter des biens à certaine destination, une loi nou- velle pouvait attribuer ces biens à l’État, à


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