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HISTOIRE

tard qu’à l’exception du roi, rien n’était changé dans mon ancienne demeure ; que le beau monde n’avait pas cessé de s’y montrer, et les enfants d’y jouer avec les Poissons rouges.

Le soir même je connus mon sort : je ne devais plus retourner dans ma royale mansarde. Mon maître dressa, dans les Champs-Élysées, une petite baraque en plein vent, qui se composait de quatre planches entourées de toile grise ; et là, sur des tréteaux, à la face du ciel et de la terre, moi, Animal né libre, et citoyen de la grande forêt de Rambouillet, je fus obligé de me donner en spectacle aux Hommes, mes persécuteurs, aux dépens de ma fierté, de ma timidité et de ma santé.

Je me rappelle encore les paroles que mon maître m’adressa quelques instant avant mon début dans cette carrière difficile.

« Bénis le ciel, me dit-il qui, après t’avoir départi plus d’intelligence que la cervelle d’un Lièvre n’en comporte d’ordinaire, t’a donné un maître tel que moi. Je t’ai longtemps logé, chauffé et nourri sans rétribution ; le moment est venu pour toi de prouver à l’univers qu’avec les Lièvres un bienfait n’est jamais perdu. Tu n’étais qu’un paysan, tu es maintenant un Animal civilisé, et tu pourras te vanter d’avoir été le premier des Lièvres savants ! Ces talents que, grâce à ma prévoyance, tu as acquis dans des temps meilleurs pour ton agrément, tu vas avoir l’occasion de les exercer d’une façon glorieuse et lucrative pour nous