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L’OURS.

les douleurs de ses âmes errantes qui avaient approché leurs lèvres de la coupe de la vie et détourné la tête. Vers le milieu de la journée, j’étudiais les simples. Le soir, je regardais les étoiles s’allumer une à une dans le ciel ; j’élevais mon cœurs vers la lune ou la douce planète de Vénus, et quelquefois « il me semblait que j’aurais eu la puissance de créer des mondes. » Cinq années s’écoulèrent dans cette vie monotone ; mais cette période de temps avait fini par oblitérer bien des sensations, dissiper bien des rêves, hébéter l’enthousiasme ; et peu à peu je cessai de voir les choses comme je les avais vues d’abord. J’étais arrivé à une de ces époques critiques de l’intelligence qui se renouvellent souvent dans la vie, qui sont ordinairement marquées par un malaise insupportable. On veut sortir à tout prix de cet état contentieux, et la mauvaise honte est d’autant moins forte pour nous retenir, que, parmi les choses que l’on comprend le moins, il faut ranger celles qu’on a cessé d’aimer. Aussi l’ennui triompha-t-il de toutes les hésitations de l’amour-propre, forcé de se dédire ; et je me décidai à retourner parmi mes semblables, à me jeter dans le mouvement, à partager les travaux et les dangers des autres Ours, en un mot, à rentrer dans la vie sociale et à en accepter les conditions. Mais, soit qu’une volonté supérieure ne permit pas que je rencontrasse, sans une expiation préalable, un bonheur que j’avais d’abord méprisé, soit que ma destinée le voulût ainsi, je tombai entre les mains des Hommes.

Je m’étais donc mis en route un matin pour exécuter