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L’OURS.

et de les transporter dans leurs écrits. Je souffrais, comme disent les âmes méconnues et les mauvais poêtes, et je voulais exprimer en vers mes chimériques souffrances. Ajoutez à cela que je n’ai jamais eu

L’heureux don de ces esprits faciles
Pour qui les doctes sœurs, caressantes, dociles,
Ouvrent tous leurs trésors.

Je me couchais tantôt sur le ventre, tantôt sur le dos, pour exciter ma verve ; quelquefois je me promenais à grands pas, à la manière de Pope, dans les sombres allées du jardin qui environnait le château, et j’effrayais les Oiseaux par le grognement sourd qui s’échappait de mon sein. Qui le croirait ? le secret dépit que me causait mon impuissance me remplissait de passions mauvaises : haine de ceux qui se portent bien, haine des institutions sociales, haine du passé, du présent et de l’avenir, haine de tous et de tout. On a écrit bien des livres depuis Salomon ; mais il en manque un, un livre inestimable : c’est celui qui renfermerait le tableau de toutes les misères de la vie littéraire.Exoriare aliquis ! … Lord B… lui-même, avec tout son génie… Mais je me tais par respect et par reconnaissance. Je vous dirai seulement que, las de la vie poétique, il voulut rentrer dans la vie commune et reposer sur le sein d’une épouse les orages de son cœur. Mais il était trop tard : son mariage acheva