Page:Scènes de la vie privée et publique des animaux, tome 1.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
L’OURS.

Depuis quatre ans, plus heureux que lord B…, peut-être, parce que je suis moins poëte, j’ai trouvé le repos dans les joies de la famille. Ma femme est très-bonne, et je trouve mes enfants charmants. Nous vivons entre nous, nous détestons les importuns et les visites. Heureux qui vit chez soi ! J’ajouterai : et qui ne fait point de vers.

Vous m’opposerez, sans doute, l’opinion de quelques philosophes. Je vous répondrai que les philosophes n’ont jamais fait autorité pour moi. Je sens mon cœur, a dit l’un d’eux, et je connais les Ours. Quant aux saints, je les respecte, et je me garderai bien de les confondre avec les philosophes ; cependant ils ont, comme les autres, montré quelquefois le bout de l’oreille, et le Chien de saint Roch me paraît une protestation vivante contre la vie solitaire.

Quant à moi, je prie les Dieux et les Déesses de me conserver, jusqu’à mon heure dernière, le calme de l’âme et la pleine intelligence des lois de la nature. Que pourrais-je, en effet, leur demander de plus ? la Naïade du rocher n’épanche-t-elle pas de son urne intarissable et bienfaisante l’eau pure qui sert à me désaltérer ? l’arbre aimé de Cybèle n’ombrage-t-il pas ma demeure de ses rameaux toujours verts ? les Dryades ne dansent-elles pas toujours sous l’ombrage de ces forêts aussi vieilles que le monde ? N’ai-je pas enfin tout ce qui peut suffire aux besoins d’un Ours sans ambition ? Le reste dépend de moi. Mais, grâces aux Dieux, je sens que je suis à présent maître de ma voie : je vis tranquille sur ma