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D’UN MOINEAU DE PARIS.

mais le chef que nous nous donnons redevient simple Loup après l’affaire. Il ne lui passerait jamais par la tête qu’il vaut mieux que le Loup qui a fait ses dernières dents le matin. Tous les Loups sont frères !

— Dans quelles circonstances vous rassemblez-vous ?

— Quand il y a disette et pour chasser dans l’intérêt commun. On chasse par sections. Dans les jours de grande famine, on partage, et les parts se font strictement. Mais sais-tu, moutard de Moineau, que dans les circonstances les plus horribles, quand, par dix pieds de neige sur les steppes, par la clôture de toutes les maisons, quand il n’y a rien à croquer pendant des trois mois, on se serre le ventre, on se tient chaud les uns contre les autres ! Oui, depuis que la république des Loups est constituée, jamais il n’est arrivé qu’un coup de dent ait été donné par un Loup sur un autre. Ce serait un crime de lèse-majesté : un Loup est un souverain. Aussi le proverbe, les Loups ne se mangent point, est-il universel et fait-il rougir les Hommes.

— Hé ! lui dis-je pour l’égayer, les Hommes disent que les souverains sont des Loups. Mais alors il ne saurait y avoir de punitions.

— Si un Loup a commis une faute dans l’exercice de ses fonctions, s’il n’a pas arrêté le gibier, s’il a manqué à flairer, à prévenir, il est battu ; mais il n’en est pas moins considéré parmi les siens. Tout le monde peut faillir. Expier sa faute, n’est-ce pas obéir aux lois de la république ?