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À QUOI TIENT LE CŒUR D’UN LÉZARD.

que son Lézard parlait, elle se contentait de le regarder de toutes les façons qui veulent dire qu’on aime et qu’on est encore au désespoir ; plus d’une fois je crus que tout était perdu pour elle. Mais, un poëte l’a dit[1] (un poëte doit s’y connaître) : « Le hasard sert toujours les amoureux quand il le peut sans se compromettre, » et le hasard voulut qu’un gros nuage vint à passer sur le soleil, juste au moment où son petit adorateur lui chantait son plus bel hymne.

— Tu le vois ! s’écria la petite Lézarde bien inspirée, ton soleil te quitte, te quitterai-je, moi ? Son rival n’était plus là et le courage lui était revenu. — Il faut qu’on aime, dit-elle au Lézard devenu attentif, en lui montrant des fleurs l’une vers l’autre penchées, et tout auprès un œillet-poëte qui faisait les yeux doux à une rose sauvage ; les fleurs aux fleurs se marient, et les Lézardes sont faites pour être les compagnes des Lézards : le ciel le veut ainsi.

Le hasard eut le bon cœur de se mettre décidément du côté du plus faible ; le nuage qui avait passé sur le soleil fut suivi de beaucoup d’autres nuages qui s’étendirent en un instant sur tout l’horizon. Un grand vent parti du nord essaya, mais en vain, de disputer l’espace à l’orage, les trèfles redressaient leurs tiges altérées, les Hirondelles rasaient la terre, et les Moucherons éperdus cherchaient partout un refuge ; tout leur était bon, et l’herbe la plus menue leur paraissait un sûr asile. Le Lézard se taisait et

  1. Alfred de Musset, Contes et Nouvelles.