Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/455

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être encore bien loin. On commença d’y faire monter les hardes ; ce qui tira Dom-Marcos de sa profonde rêverie, qui ne l’avoit pourtant pas empêché d’avoir toujours les yeux sur le plus cher de ses coffres, où étoit tout son argent. Un matelot vint prendre ce coffre pour l’attacher avec d’autres, à une grosse corde qu’on tiroit du vaisseau avec une poulie. C’est ici où Dom-Marcos s’oublia : il vit lier son coffre près de lui, et ne branla pas ; et enfin, le voyant déjà en l’air, il se prit des deux mains à un des anneaux de fer qui servoient à le lever de terre, résolu de ne s’en séparer jamais. Et peut-être qu’il en fût venu à bout : car que ne fait point un avaricieux pour conserver son argent ? mais par malheur, le coffre se sépara des autres, et tombant à plomb sur la tête du malheureux, qui ne quitta pourtant point sa prise, il l’enfonça au fond de la mer, ou si vous voulez à tous les mille diables. Isidore, Inez et Augustinet le reconnurent dans le tems qu’il se perdit en la compagnie de leur cher coffre, dont la perte les fit plus pâlir que la peur du vindicatif Dom-Marcos. Augustinet enragé de tant d’argent perdu, et peu maître de son premier mouvement, frappa le matelot qui avoit si mal lié les coffres, d’un furieux coup de poing. Le matelot lui en donna un encore plus furieux, et qui le fit cheoir dans la mer. Il se prit en tombant à la malheureuse Isidore, qui ne se prit à rien ; et ainsi accompagna son cher Augustinet, qui malgré lui accompagna Dom-Marcos. Inez s’embarqua dans le vaisseau avec le reste des hardes, qu’elle mangea dans Naples en peu de tems ; et après avoir été long-tems courtisane, mourut en courtisane, c’est-à-dire à l’Hôpital.