Page:Schiff - Marie de Gournay.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je n’ay saine ou malade un esprit riotteux.
Je fuis du vil ingrat le reproche honteux.
L’injure plus qu’à nul à mon cœur est amere ;
130.J’aymerois mieux pourtant la souffrir que la faire :
Sans exceder son poids je la paye et ressens.
Les foibles je respecte à l’égal des puissans.
Je ne seme discord. Je ne couve l’envie.
Nul prix ne flestriroit l’équité de ma vie.
135.Nulle necessité n’usurpe le pouvoir,
De me faire offencer le proche ou le devoir.
A mes ayses charmeurs je n’ay l’humeur subjecte.
La grimace de Cour et son fard je rejette :
Je hay sa singerie où chaqu’un s’entresuit.
140.Mon œil et mon palez le vain luxe refuit.
Je suis soigneuse, active, en mes desseins constante,
Aux affaires bandée et de loin prevoyante.
Je ne suis nonchalante à payer mon devoir.
Je sçay d’esprit docile un conseil recevoir.
145.Du faible contre un fort le party je n’opprime.
Du flatteur pestilent je deteste le crime.
Devant qu’avoir gousté les mœurs du genre humain,
J’espandois tout office à plaine et large main :
Mesme bonté depuis entre les bons j’observe,
150.Mais parmy le commun je fais quelque reserve :
Le pauvre et l’affligé je secourrois pourtant,
Si mon pouvoir estoit à mon desir bastant.
Le secret qu’on m’a dit je tais d’un soin fidelle,
Voire un secret surpris peu souvent je décele :
155.Je n’aguette celuy que l’on me veut cacher,
Ou si mon œil le perce il feind de n’y toucher.
Je ne condamne aucun par la bouche publique.
Je ne suis importune à ceux que je practique.
Donc si j’ay des deffaux ils ne blessent que moy :
160.Complette vers autruy d’offices et de foy.
L’équité, la candeur, je les tiens de nature :
L’ordre je l’ay gaigné par temps et par lecture.
J’ay veu les derniers seaux à cét ordre apposez,
Ayant sur mes ans meurs sept lustres espuisez.


―――――