Page:Schlegel - Œuvres écrites en français, t. 1, éd. Böcking, 1846.djvu/142

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placés de manière a entendre le désaccord de toutes ces bandes, un étrange charivari.

Quelques meuniers, étant devenus complètement sourds, précisément à cause de cela, croyaiant être plus éclairés que leurs confrères. Ils disaient : « Cette musique sans musiciens dont parlent vaguement quelques-uns de nos vieillards, n’est qu’un conte de vieille femme. Pourquoi imiter une chimère ? C’est une duperie. On paye ces musiciens, ils se trémoussent avec leurs violons, mais ils ne tirent pas un seul son de leurs instruments. Néanmoins ce spectacle distrait nos jeunes gens : ils ne font pas attention aux embarras des rouages, ni à la farine qui s’échappe au lieu de tomber dans le crible. Si nous parvenions à couler a fond tous ces bateaux, nous jouirions d’une prospérité sans exemple dans les temps passés. »

Les meuniers sourds commencèrent donc a lancer des pierres, mais sans produire beaucoup d’effet. Les musiciens mettaient leurs bateaux a l’écart ; aussitôt la grêle passée, ils revenaient à la charge, et le besoin d’entendre une musique quelconque leur conciliait toujours la faveur de la presque totalité des meuniers.

Ici se termine cette histoire, puisque nous sommes arrivés au temps actuel, après avoir parcouru toutes les phases de l’humanité depuis l’antiquité la plus reculée. Les meuniers sourds sont ceux avec lesquels je m’accorde le moins. Il me semble injuste de troubler les musiciens dans l’exercice de leur métier, et de gêner le goût des amateurs. Il faut seulement prévenir les rixes et les voies de fait. Je suis même prêt a applaudir à tout ce qu’il y a de vraiment musical dans chacun de ces concerts : mais je