Page:Schlegel - Œuvres écrites en français, t. 1, éd. Böcking, 1846.djvu/336

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grâce à tout ce qui pouvait embellir le tableau de la vie humaine.

On ne saurait méconnaître dans Homère une certaine ironie dans sa manière de traiter les affaires divines. Ce père des Dieux qui ébranle l’Olympe en secouant sa chevelure, et qui en même temps a une peur affreuse que sa femme n’ait surpris son rendez-vous secret ; le fils qui réconcilie les époux hargneux en les faisant rire de sa tournure burlesque ; Vénus arrivant éplorée d’une égratignure à la main que lui a faite l’audace d’un mortel ; le scandale qu’excite dans l’Olympe la jalousie indiscrète de Vulcain : tout cela est fort loin de la mystérieuse gravité des poëtes indiens. Avec quelle malice l’Homéride, auteur de l’Hymne à Mercure, ne raconte-t-il pas les escroqueries que ce dieu voleur exerce déjà dans son berceau ! Dans Aristophane cette pétulance est poussée jusqu’à l’effronterie.

Pindare, en racontant la faille de Pélops, qui avait une épaule d’ivoire parce que la sienne avait été mangée par Cérès, avant que les Dieux s’aperçussent du repas sacrilège que leur préparait Tantale en immolant son fils, ajoute qu’il n’admettra jamais la vérité d’un récit contraire a la dignité divine. Mais Pindare était pythagoricien, et fait exception à la règle commune.

Nous voyons donc que la poésie grecque dès les plus anciens temps jouissait d’une très-grande liberté en matières religieuses. Ce privilège presque illimité des poètes de modifier à leur gré les traditions sacrées, privilège qui en Grèce nous a valu tant de belles chimères, ne pouvait exister chez des nations soumises à l’autorité sacerdotale. Mais la civilisation des Grecs n’a pas été dirigée par leurs