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pas explicitement insérée dans le Rig-Véda ; mais la place du premier y est indiquée, et cela, chose habile, par un mot interrogatif, par le mot ka (?), comme qui dirait x. Il ne peut y avoir de doute sur la valeur philosophique du mot dans l’hymne où on le lit, car la dernière stance qui chante ce Ka le désigne comme le maître du monde, Prajâpati. Or, Prajâpati embrasse et renferme en lui tous les êtres[1]. Quant à Brahmâ, le Véda le connaît sous le nom de Purusha, l’Esprit incorporé[2]. C’est ainsi que les brâhmanes surent donner un vernis védique à tous leurs empiètements, et quand le buddhisme parut, Indra dut s’y prêter aussi. C’est même d’Indra et de son bon et fidèle ami[3], Agni, dont ils se servirent à cet effet. Indra, tout comme Brihaspati, apparaît avec le titre de roi du brahma[4], la formule qui contient le principe de la domination brâhmanique, et Agni est qualifié de législateur des brâhmanes[5].

Il est vrai que cela se lit dans le Mahâbhârata, mais c’est un livre sacré qui passe pour un véda. Indra d’ailleurs, lors de l’avènement du buddhisme surtout, ne pouvait être assez ménagé, car ce dieu était censé avoir reçu le buddha au moment de sa naissance[6], et il était ainsi le grand dieu des buddhistes. Le buddhisme devait être doublement cher aux fiers châtelains de l’Inde : Çâkya était kshatriya et sa doctrine continuait, en la raffinant, la doctrine des kshatrivas. L’entreprise des brâhmanes n’était donc pas facile ; aussi ne réussit-elle qu’après des vicissitudes longtemps désastreuses pour le brâhmanisme. Et tout d’abord il ne suffit pas, pour évincer le buddhisme, de substituer à l’Atman kshatrien i’Atman brâhmanique, à savoir Brahman ; il fallait encore trouver un équivalent au nirvâna, le suprême attrait de la philosophie du lion de Kapilavastu. C’est par le nirvâna, principalement, que Çâkya, agissant dans l’esprit des anciens sages drâvidiens qui avaient déclaré l’identité de l’espèce humaine[7], était parvenu à abolir et à annihiler toutes les catégories conventionnelles et, en premier lieu, les catégories de caste. Or la monade sans forme et sans limites du nirvâna n’était autre chose, dans son état pur et simple d’abstraction physique, que l’âme universelle, l’ât-man des kshatriyas. C’était une doctrine à donner le vertige, et c’est justement à cause de cela qu’elle convenait au génie foncièrement panthéiste des Indiens. À la longue, toutefois, son charme enivrant devait excéder les esprits, les lasser et leur faire désirer qu’on y apportât quelque tempérament. La preuve, c’est que

  1. Prajâpate na tvad etânyanyo viçvâ jatâni pari ta bahhûva. (R. V., X, 120, 10 ; VI, 431.
  2. Ibid. X, 90 (VI, 243).
  3. Dvâvindrâgni carato vai sakhâyau. (Mahâbhârata, III, 10659.)
  4. R. V. VII, 97, 3. Cf. Ibid. IV, 50, 4, 5 — Ib. II, 23, 1 (II, 519).
  5. Dharmo brâhmanânâmâthâgnikah. (Mahâbhâr., XII, 5382.)
  6. V. Hiouen Thsang, ouv. c., II, 324. Il l’avait reçu à l’état de bodhisattva, s’entend à l’état de buddha en puissance.
  7. La tradition de cette doctrine s’est maintenue pure dans le Kural.